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Exposition : la comédie humaine d’Amadou Sanogo
lundi 18 mars 2019, par
La galerie Magnin-A expose à Paris les toiles de l’artiste malien, qui s’y révèle en plein épanouissement. À ne pas manquer, d’ici au 30 mars.
Ce début de printemps est propice aux découvertes, par exemple celle de l’un des artistes les plus intéressants du Mali contemporain que l’on s’arrache désormais aux quatre coins du monde. Amadou Sanogo expose dans la nouvelle galerie ouverte dans le 11e arrondissement de Paris par André Magnin, qui est aussi son galeriste et le présente de Paris à Dakar, en passant par Londres et Marrakech.
Pour autant, l’artiste n’a pas « duré » à Paris au-delà du vernissage de sa première exposition personnelle. Natif de Ségou, en 1977, il était attendu dans la capitale du royaume bambara, où la manifestation « Segou’ art » battait son plein. Et quand on s’implique comme lui depuis plus de quinze ans dans l’épanouissement de la création artistique contemporaine malienne, en fondant notamment le collectif Atelier Badialan, il est inconcevable de ne pas être à ce genre de rendez-vous.
« L’émotion nous dépasse »
Sanogo est un sage. Ou du moins un peintre en quête de sagesse. On le sait au bout de quelques toiles à peine, qui vous posent le monde là. Il lui a fallu beaucoup de philosophie et de force de caractère pour imposer ce qu’autour de lui à Bamako on nommait au début de ce siècle encore, nous racontait-il, « l’art contem-pourri ».

Repéré tout jeune par son professeur de dessin à Ségou, qui lui enjoint de s’inscrire à l’Institut national de l’art de Bamako, il y est conforté par l’artiste Modibo Diallo Franky, dont il suit l’enseignement. Ce choix de l’art demeurera longtemps incompréhensible pour les siens, mais Amadou Sanogo tient bon.
Il doit exprimer ce qu’il observe autour de lui et impose très tôt sa singularité. À force de voir les manœuvres des politiciens au pouvoir et ses compatriotes demeurer dans le dénuement, mais aussi l’accepter en certaine part, à force que tout aille à l’envers ou presque, Sanogo trouve les images pour dénoncer les impasses, les sens interdits, montrer les verrous et les tabous qui doivent sauter. Mais si l’engagement est un moteur, l’émotion est au cœur de son travail. Un tableau intitulé « l’émotion nous dépasse » le dit bien. Et son univers esthétique, en constante évolution, attrape toujours plus le regard.

L’artiste prend le plus quotidien comme le plus universel des sujets. Il « croque » l’hypocrisie, les absurdités, en mettant, dirait-on en paraphrasant l’expression « cartes sur tables », « couleurs sur toiles ». Et dans ses scènes et par ces objets détournés, la tonalité du « moqueur » (titre d’un tableau) n’est jamais loin. Sanogo est un observateur narquois, qui ne perd jamais la noblesse de l’élégance. La puissance géométrique de la composition, et l’usage des symboles à tous les niveaux caractérisent encore son travail, nourri, faute de livres à portée de main, par une insatiable curiosité assouvie de recherches sur le Net. Et dont le socle est sa connaissance des proverbes, qui lui sont art de vivre.
De Dar Salam au monde entier
Il y a une douzaine d’années, on le retrouvait dans son atelier de l’un des quartiers les plus anciens de Bamako, Dar Salam. Logé dans deux pièces donnant sur la cour, il vivait et peignait alors au même endroit, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Son talent de coloriste frappait déjà sur les draps et les toiles de coton qu’il rapportait du marché de Bamako, étendait à terre pour y tracer au crayon et à l’acrylique ses traits si reconnaissables, au pinceau ou à la main, et faisait sécher comme le linge, avant de les étendre entre son matelas et son sommier, faute de place. Ainsi se déjoue-t-on des normes et des formats, et transforme-t-on la contrainte en liberté. D’ailleurs, ses personnages sont souvent encadrés à l’intérieur même de la toile volante.

Simon Njami passant par là ne passe pas à côté de ce peintre si plein de promesses, mais à l’étroit dans le paysage malien. Et depuis, il est acheté notamment par les principaux collectionneurs africains. Lancé au-delà des frontières, Sanogo n’en perd pas son Mali. C’est là, et plus encore dans sa culture bambara, qu’il puise constamment réflexion, regard sur le monde, en invitant ses drôles de personnages à habiter ses grandes toiles comme une série de « Caractères » façon La Bruyère, mais plus ouverte sur le monde, et la comédie humaine. Le sujet y est la plupart du temps seul, ce qui dit déjà tant de choses de responsabilisation de l’individu dans la société. Personnage assis, comme en attente, de souffle ou d’inspiration ? Épuisé ici, ou bien armé d’une trompe qui peut être un cor, et de toute façon un moyen d’expression. Avec ou sans tête, tête pensante ou vide, la question se pose vu la façon dont les hommes se comportent. Avec ou sans titre, les silhouettes cocasses ont une présence intense, mais non pesante, comme allégées par ces motifs décoratifs récurrents, petits cercles – cauris, parfois, qui apportent la grâce.

Dans cette parade souvent chaude, parfois acidulée, tout le monde n’est pas droit dans ses chaussures à crampons, loin de là. L’artiste, lui, a les deux pieds sur terre. Irrévérencieux et plein d’humour, mais sérieux quant à son travail, il s’y remet dès son retour de Ségou. La gestion de sa carrière devient un enjeu à l’heure où les prix commencent à s’envoler. Il faudra s’en soucier. Certes. Mais Amadou Sanogo sait où se trouve l’essentiel. Outre son havre familial, nulle part ailleurs que face à lui-même, dans son atelier.
Par Valérie Marin La Meslée
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