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Retour de la paix au Mali : Sinankouya, un vecteur de réconciliation pour le vivre ensemble dans le cercle de Mopti
vendredi 17 mai 2024, par
Le Mali traverse depuis quelques années l’une des plus graves crises de son existence. Une crise particulièrement aigue dans le cercle de Mopti sur fond de conflits intercommunautaires. Utile dans les relations de proximité, le Sinankouya favorise la cohésion sociale. Ainsi, il a sa place pour contribuer à la résolution de conflits les plus divers. Cette pratique mérite d’être connue, diffusée. Lisez !
Le Sinankouya est considéré au Mali comme l’une des valeurs culturelles des plus importantes ; d’où l’implication de tous les maliens dans la valorisation de ce pan essentiel de notre culture. Il aura sans doute une place prépondérante dans le Programme national d’éducation aux valeurs que les autorités de la Transition ont initié.
Le Sinankouya est un cousinage patronymique ou symbolique entre personnes d’ethnies ou de classes sociales différentes. Appelé aussi cousinage à plaisanterie, c’est une pratique qui autorise l’usage de l’humour entre « cousins ». Cette approche traditionnelle est un système de gestion de la diversité qui dépasse les clans, les ethnies, les castes et les âges. Elle garantit la dignité de l’autre en toute circonstance. Car, sa règle d’or est de ne jamais nuire.
A la base, Sinankouya joue toujours un rôle en cas de problème entre les races, les ethnies, les individus. Il offre des moments de détente qui permettent aux parties en conflits à prendre du recul. Le cousin à plaisanterie exerce des médiations en maniant humour et dérision, une arme redoutable et qui désarme les plus téméraires, dissipe la colère, l’incompréhension.
Amsala Bocoum, coordinateur régional de Tapitaal pulaaku à Mopti, affirme que le Sinakouya, c’est des rapports qui unissent certaines communautés, des races, des cousins et cousines et qui existent partout au Mali. Il consiste également à permettre au cousin sans aucun risque de vous dire ce qu’il pense. Cela permet de vous ramener à des positions que la société souhaite, c’est-à-dire , arrêter tout comportement déviant.
Selon Amsala, Mopti veut dire rassemblement. Cela fait déjà, que toutes les races ou ethnies du Mali se trouvent à Mopti (Dogons, Sonrhaï, Bozos, peulhs tous cousins). Il ajoute qu’à Mopti, le Sinankouya est très pratiqué dans beaucoup de localités et cela arrange beaucoup de situations indésirables. Selon M. Bocoum, à Mopti « tu as même peur que ton sinakou, ‘’cousin’’ te demande quelques choses et que tu le refuse, c’est comme si tu as commis un péché. Pour certains, ça peut te créer de problèmes. Tu peux te remettre en cause. Tout le monde croit en cela. Alors, le Sinankouya c’est notre ciment qui raccorde toutes les plaies, qui peut guérir toutes les blessures. On doit le conserver rigoureusement ».
Ali Kampo, qui est connu pour prêcher la bonne parole en faveur de la paix et de la réconciliation dans la région de Mopti, idra que, c’est un outil de mécanisme pour trouver des solutions endogènes puisées dans la tradition et les coutumes de la société pour la prévention et la gestion des conflits communautaires, intercommunautaires et même familiaux.
« Nous nous appelons dans notre jargon, la dynastie de terrain de médiation pour pouvoir éteindre tout feu. Ceci remonte depuis l’époque de Soundiata et figure formellement dans la ‘’charte de kouroukanfouka’’, cette sorte de constitution du Mandé qui a mis en œuvre des codes et des conduites normatives, c’est-à-dire des propositions pour éviter que la société et les communautés arrivent à l’autodestruction. M. Kampo ajoute que, c’est le premier code, si vous voulez la première constitution au monde sur la gestion et la prévention de conflits, pour la paix tout simplement. Et, Sinankouya figure en bonne place et est utilisé en premier lieu pour éviter la violence sous l’empereur Soundiata comme au Mali d’aujourd’hui.
Tout le monde a son sinankou, précise-t-il. Il est formellement interdit par risque d’avoir des malheurs de refuser à son cousin ‘’sinankou’’ quoique ça soit ou commettre des violences à son égard. Notre interlocuteur donne l’exemple des peuls et f des forgerons. Le forgeron ne doit pas être agressé par son cousin peulh. C’est la même chose entre les Diawabés et les peuls, etc. Il en est de même entre certains groupes et ethnies, comme les Somono et les Bozo. C’est ce que nos ancêtres ont trouvé pour ramener tout le monde à la raison et chaque société doit apprendre à respecter cela souligne Ali Kampo.
Sur la même ligne, il dit : tout comme les bouffons ‘‘les kotèdiouka’’ peuvent vous dire des choses mais vous n’avez pas le droit de vous fâcher et c’est la même chose entre cousins ‘’sinankou’’. Cela amène un changement de comportement, des mentalités pour le vivre ensemble dans la société. Ton sinankou ‘’cousin », sans violence te critique et te demande pardon après. C’est propre à l’Afrique, à la société malienne renchérit M. Kampo.
Pour Fatogoma Dembélé dit Djélifama, résidant à Mopti, Sinankouya est un vecteur culturel qui amène le vivre ensemble dans la société et qui fait régner la paix entre membres d’une communauté ou même entre plusieurs communautés. Notre pays a cette belle culture que beaucoup d’autres n’ont pas grâce à nos ancêtres. Sinankouya a son importance dans nos vies, cela permet de mettre fin à des conflits sans intervention de la violence, de la police ni de la justice. C’est ainsi que son rôle est important et reconnu par tous dans la société, dans la gestion des conflits. Cela fait appel au rôle important que les griots jouent. Car, ils sont l’un des piliers important pour la paix et l’un des acteurs dans la gestion des conflits. Les griots ont un important rôle à jouer, ils doivent cultiver la paix, le vivre ensemble entre gens. Ils ont le rôle de rappel de nos cultures, les liens qui nous unissent, etc.
Le Sinankouya dans la prévention et la gestion des conflits
C’est très important dans la société, relate Amsala Bocoum pour lequel cela dépend aussi de la communication. Le plus important est de se comprendre. « Si dans les échanges tu vois que tes intérêts ne seront pas menacés, tu acceptes facilement. Cela amène les uns et les autres à donner leur point de vues », a-t-il expliqué. En guise d’exemple : il dit, en 1994, avoir vu une situation entre Sossobé et Salsalbé et c’était un très gros problème. Tabitaal Pulaku a décidé d’intervenir mais en prenant soins de se faire accompagner de tous les chefs des villages de toute la région au près des deux camps en conflit. D’abord chez les Sossobé dont leurs cousins sont les Coumbé, étaient avec la délégation. Ils ont été mis en première ligne. Ainsi, dès que le problème a été posé, ils nous ont dit qu’il n’aurait aucune riposte avant les décisions judiciaires et c’est tout ce qu’on cherchait. L’objectif était de faire en sorte que les gens se calment avant que la justice ne tranche le litige. Après, on a continué chez les Salsalbé. Là-bas, le coordinateur de Tabitaal pulaku à l’époque était un cousin aux Salsalbé. Ce qui a fait en sorte que la tension soit baissée et de trouver une entente entre les deux parties.
« Par ailleurs, il n’y a pas de plus compliqué que la réconciliation, parce qu’il y a beaucoup d’enjeux. C’est pourquoi nous, nous avons décidé en son temps e rester avec Dinna Dogon à chaque fois qu’il y a un problème pour parvenir à régler beaucoup de problèmes ensemble », révèle Amsala.
Ali Kampo, témoigne, qu’en milieu dogon, il y a eu un conflit foncier, le problème de champ entre deux villages et c’est arrivé à une phase où rien ne pouvait les empêcher de s’affronter. Pour gérer ce problème, ils sont est allés chercher un cousin Bozo à Mopti. Ce dernier, dès qu’il parle personne ne peut nier ses propos, c’est la limite. Celui qui transgresse cela s’expose à un malheur.
« Ces mécanismes endogènes sont toujours en vigueur et les gens croient beaucoup à ça. Lors du dialogue inter-maliens, ça été largement évoqué. On doit éduquer au Sinankouya nos enfants, il faut un retour à la source pour ne pas perdre nos racines. Pour que notre société soit plus stable, il y a beaucoup de repères à connaitre et à conserver. Le Sinankouya qui est un de ces repères peut nous ramener à la source et c’est un excellent remède pour arrêter la violence », conclut Ali Kampo.
Fatogoma Dembélé, explique qu’il est arrivé un cas de conflit entre les peuls et les Bobo dans une localité de Tominian. Grace à l’intervention des griots qui ont joué leur rôle de médiateur et ont rappelé liens de cousinage entre ces deux ethnies, ils ont pu trouver un terrain d’entente. M. Dembélé lance un appel à tous les leaders religieux et coutumiers de pleinement jouer leur rôle et faire en sorte que nos coutumes, cultures tel que le Sinankouya soit enseignée aux générations futures.
Bintou COULIBALY
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