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Mali : Yaya Coulibaly, le marionnettiste

jeudi 7 avril 2016, par Assane Koné

Depuis plus de trente ans, l’artiste malien Yaya Coulibaly caricature la société africaine et veille sur plus de 10 000 marionnettes, dont certaines datent du XVIe siècle.

« Voici ma caverne d’Ali Baba », s’amuse Yaya Coulibaly en tournant la poignée de la porte de sa grande maison située en plein cœur du quartier populaire de Magnambougou à Bamako. Il y stocke depuis trente ans plus de 10 000 marionnettes, dont certaines proviennent du legs familial et datent du XVIe siècle. « Nous sommes marionnettistes de père en fils depuis plusieurs générations. Dès l’âge de 6 ans, mon père m’a initié aux techniques du jeu masqué et de la marionnette », prévient celui qui rappelle au passage le caractère quasi sacré de ce don familial.

Au sommet de l’escalier sombre de l’antre de l’artiste trône Sogolon la Vilaine, la mère du roi Soundiata Keïta, régnant sur un tas de cadavres de figurines en bois. Elle a été utilisée lors de son dernier spectacle, Le Geste de Soundiata Keïta, sur la grande épopée du royaume mandingue, joué le 4 février à l’Institut français de Bamako. Sur trois étages mal éclairés, c’est un méli-mélo de jambes de bois, de cordages, de sourires figés et de regards tristes, parfois légèrement décrépits. « Malheureusement, l’usure du temps a souvent raison des plus vieilles pièces. Le tissu s’abîme plus vite que le bois, la peinture aussi. Je suis obligé de rhabiller les plus anciennes, de les repeindre aussi, en les consolidant. Le climat sec de Bamako n’est pas forcément idéal. »

On croise aussi des figures mythiques, comme cette tête d’antilope aux cornes recouvertes de six personnages qui symbolisent l’univers entier. « Je peux faire une tête d’animal, de gazelle ou de chameau, en une heure comme en trois jours, ça dépend de l’inspiration et des « vibrations ». Il est même arrivé que je mette un an à terminer une marionnette », précise-t-il. Dans ce temple de pantins et de poupées, l’on croise le capitaine Sanogo, l’homme du coup d’État de 2012 volontairement esseulé dans le coin d’une pièce, comme mis au piquet. Plus loin se dresse le général de Gaulle, « qui nous a donné l’indépendance », aussi filiforme qu’une statue de Giacometti. Sur des étagères poussiéreuses, de vieilles malles métalliques qui ont servi à transporter les figurines rappellent le temps de la gloire, de l’époque pas si lointaine des représentations à Paris ou New York dans les années 1990.

Aujourd’hui, Yaya Coulibaly forme de jeunes artistes qui l’appellent « professeur » et le vouvoient. Avec ses masques, ses statuettes de bois, sur gaine ou sur tige, qu’il conçoit entièrement et qui peuvent mesurer jusqu’à trois mètres de haut, cet ancien élève de l’École nationale supérieure des arts de la marionnette (Esnam) à Charleville-Mézières, en France, caricature la société africaine depuis qu’il a fondé sa compagnie, Sogolon, il y a près de quarante ans, en 1980.
Voyage musical

« Je suis un forgeron, garant de la culture animiste, défend Yaya Coulibaly. Je travaille des types de bois résistants au temps, des objets de récupération comme des boîtes de conserve ou autres, du fil de fer pour concevoir le mécanisme de mes génies. » Des marionnettes si bien dessinées, si réalistes qu’elles en deviennent troublantes. Certaines ont même été utilisées au cinéma comme dans le moyen-métrage Desert Blues, de Michel Jaffrennou, sorti en 2007 : un voyage musical au cœur du Mali. « Professeur Coulibaly » a par ailleurs été acteur dans de nombreux films. Avec son air ailleurs, son sourire un peu figé, son pas lent et saccadé, il aurait presque un petit air de marionnette lorsqu’il quitte sa « caverne ». Une marionnette humaine, dont les fils seraient tirés du lointain par ses ancêtres rieurs.

Jeune Afrique
François-Xavier Freland


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