Culture > Aldiouma Yattara : « Les banques culturelles sont les musées de nos villages »

Aldiouma Yattara : « Les banques culturelles sont les musées de nos villages »

lundi 28 décembre 2015, par Assane Koné

La Fondation Chirac a distingué les Banques culturelles du Mali tant pour leur action de protection du patrimoine culturel que pour le soutien apporté aux populations locales.
Le musée du Quai Branly a abrité la cérémonie annuelle de remise des prix de la Fondation Chirac, en présence du président de la République François Hollande. L’attaque de Paris était au centre de tous les esprits. « Nous ne renoncerons jamais à ce que nous sommes : c’est le sens même des prix remis ce matin par la fondation », a assené François Hollande lors de son discours. Le prix pour la prévention des conflits a été décerné à Latifa Ibn Ziaten, la mère du soldat français qui fut la première victime de Mohamed Merah le 11 mars 2012. Depuis le décès de son fils, elle sillonne la France pour lutter contre la radicalisation des jeunes au nom de son association, Imad Ibn Ziaten pour la jeunesse et la paix. Émouvante, elle a interpellé le président de la République « Il y a aujourd’hui une souffrance énorme, il faut aider les parents pour que leurs enfants aiment la France. » Le prix culture pour la paix a, quant à lui, été attribué aux Banques culturelles du Mali, représentées par Aldiouma Yattara, le directeur du musée du Sahel à Gao qui a sauvé au péril de sa vie les trésors de son musée en 2012 lorsque le Mujao a pris le contrôle de la ville. Il se confie au Point Afrique.


Le Point Afrique : qu’avez-vous ressenti au moment de la remise du prix ?

Aldiouma Yattara : Beaucoup d’émotion mêlée de fierté. J’ai été ému que ma modeste personne reçoive ce prix au nom d’une nation, le Mali, ce grand pays historique et culturel. C’est une fierté de montrer que les Africains peuvent aussi réfléchir et proposer des choses. Aujourd’hui, l’Afrique aussi a des cadres capables de promouvoir la culture, la protéger et la mettre au service du développement des communautés.

Racontez-nous l’origine de ce concept innovant...

Une femme nommée Aïssata Ongoïba, présidente d’un groupement de femmes, a un jour assisté lors de sa tournée à une exposition-vente d’objets artisanaux. De retour dans son village à Fombori, elle a souhaité reproduire la même chose. La première initiative a échoué, car les villageois ne comprenaient pas que leurs objets artisanaux et culturels pouvaient avoir une valeur marchande qui améliorerait leurs conditions de vie. La deuxième tentative a été la bonne. Grâce à des experts présents sur place, avec lesquels j’ai échangé, l’idée de créer une banque culturelle est née. Nous avons proposé de construire dans le village un petit bâtiment à l’intérieur duquel les habitants pourraient déposer des objets culturels de valeur en échange d’un microcrédit : l’importance du prêt ne serait pas déterminée par la valeur esthétique de l’objet, mais plutôt par sa valeur historique et culturelle. Ce microcrédit servirait à financer des activités génératrices de revenus. La première Banque culturelle a vu le jour en 1997 à Fombori, les deux suivantes en 2003 à Dimbal et Kola, puis la dernière en 2007 à Dégnékoro. L’objet déposé reste la propriété de celui qui l’a déposé et nous l’accompagnons également par de la formation. Un musée classique reçoit des objets, mais n’accorde pas de crédit, tandis que les banques qui proposent du microcrédit n’acceptent pas d’objet culturel comme garantie. Désormais, les habitants ne vendent plus leurs objets précieux à vil prix, alors qu’ils vivent dans la pauvreté, et ne laissent plus leurs biens se détériorer à cause de la poussière, l’humidité ou la chaleur.

Prévoyez-vous la création de nouvelles Banques culturelles dans un avenir proche ?

Ce qui s’est passé en 2012 a été une alerte. Nous ciblons des zones où le patrimoine culturel est menacé, exposé au trafic illicite des biens culturels et au pillage de sites archéologiques. Installer des Banques culturelles dans ces endroits sensibles permet d’informer les populations locales. Elles doivent veiller à ce que les biens culturels contribuent au développement économique et social au lieu d’être bradés. Tout développement qui ne prend pas en compte la culture est voué à l’échec. Il faut remettre la culture au centre des discussions. Avec les Banques culturelles, nous allons organiser des expositions qui prônent davantage le dialogue, l’acceptation de l’autre et la paix. Le deuxième axe de réflexion portera sur le partage d’expérience entre les générations présentes et futures. Je pense que passer par les enfants est un bon moyen de sensibiliser les parents à la culture. Par exemple, un scolaire peut amener son père, sa mère, son entourage à s’intéresser aux musées, à s’approprier sa culture pour la conserver et la transmettre.

Avez-vous été un exemple pour les Banques culturelles du Bénin et du Togo ?

Cette expérience des Banques culturelles est novatrice. Cela n’a jamais existé, c’est une première ! Le projet ne pouvait voir le jour sans l’appui et l’accord des autorités maliennes chargées de la culture. Dans beaucoup de pays, les gouvernements ne donnent pas assez d’argent pour la culture. Au Bénin, l’école du patrimoine africain de Porto Novo forme les professionnels des musées africains et œuvre pour la diffusion du patrimoine. Cette école, où j’enseigne, a eu un financement du ministère français des Affaires étrangères. Dans ce cadre, l’école a créé un programme dénommé les musées au service du développement. Comme l’expérience malienne a été concluante, nous avons eu l’idée de l’inclure dans le programme afin de l’appliquer à d’autres pays africains. Nous avons alors organisé un séminaire au Mali, dans la région où se trouve la première Banque culturelle. Des participants d’une douzaine de pays sont venus discuter avec les habitants et les experts du fonctionnement de la Banque culturelle. De retour au pays, ils se devaient d’envoyer leur proposition à l’école puisqu’il s’agissait d’un séminaire avec appel à projets. Sur les douze, seuls deux étaient réalisables : ceux du Bénin et du Togo. J’ai été sollicité pour réaliser une étude de faisabilité, former les membres des futures Banques culturelles et accompagner ces structures jusqu’à leur ouverture en 2009 et en 2010. Tout récemment, en 2014, j’ai fait de même avec la Guinée-Conakry, à l’initiative des maires francophones et du gouvernement de la République, alors que ce pays se battait encore contre le virus Ebola.

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans ce domaine ?

Depuis leur création, il n’y a jamais eu de pillage d’objets puisque ces banques sont gérées par les populations locales. Les communautés se sont approprié ces objets. Nous les experts maliens aidons les populations à améliorer les conditions de conservation des objets en leur apprenant à les nettoyer et à les protéger de la poussière, des insectes et de l’humidité. Nous n’avons jamais rencontré non plus de problème de remboursement : le taux de remboursement est de 93 %. Les crédits ont un faible taux d’intérêt de 1 à 3 % au maximum. Les populations rurales sont fières de nous raconter que cela a servi à faire avancer leur agriculture, leurs conditions de vie et de travail. Avant, un objet culturel pouvait être vendu alors que, le lendemain, la personne n’avait même plus de quoi manger, envoyer son enfant à l’école, ni même payer un petit stylo. Aujourd’hui, l’objet reste la propriété de la personne. Les Banques culturelles sont devenues des lieux de vie privilégiés, aussi bien des centres de développement économique que des lieux de dialogue où les anciens transmettent leur savoir aux plus jeunes. Parfois se joignent à la population qui fréquente les Banques culturelles des touristes de passage. Ce système réunit les communautés dans la conservation et la diffusion du patrimoine. C’est un vrai facteur de développement. On dit souvent que la culture, c’est ce qui reste quand on a tout perdu.

http://afrique.lepoint.fr/
Propos recueilis par Roger Maveau

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.