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Adama Traoré : l’agitateur culturel au cœur des réalités maliennes

lundi 21 novembre 2022, par Assane Koné

« Crier ses racines », tel est le thème de la 16° édition du festival du Théâtre des Réalités organisé par le dramaturge et comédien, Adama Traore, du 5 au 11 décembre prochains, à Sikasso. Mais qui est donc le président-fondateur de la compagnie Acte Sept ? Rencontre dans les locaux de son association, située à l’ACI 2000, non loin de l’hôtel Radisson, à Bamako.

Juste en face du grand portail bleu, deux mini-bus attendent le chargement du matériel de régie pour le prochain festival. Bientôt, ils seront chargés de projecteurs, micros, câbles, ainsi que du podium et des gradins du théâtre ambulant. Dans la cour, juste en face de la scène démontable, se dresse un tronc d’arbre stylisé qui symbolise l’enracinement, la résistance de la culture, malgré ses branches coupées. Ces quelques images, à elles seules, donnent une idée de la personnalité d’Adama Traore : un rebelle, viscéralement attaché à ses racines, mais toujours en mouvement. Toute sa vie le démontre.

Adama Traore est né en 1962 dans la ville carrefour de Sikasso, un grand lieu de passage, non loin des frontières du Burkina Faso et de la Côte d’Ivoire. Sa combativité, il la tient peut-être de ses ancêtres qui géraient le prestigieux royaume de Kénédougou à la fin du XIX° siècle et dont un bon nombre résistèrent à la colonisation française. Quant à son ouverture d’esprit et son amour de la culture, c’est son père qui les lui a transmis. « L’un des premiers livres qu’il a m’offert, c’était ‘’Fils du peuple » du grand communiste français Maurice Thorez ; mais il m’a aussi inscrit à l’école catholique où on me faisait le catéchisme, et je devais apprendre le coran le matin, avant d’aller à l’école. Je suis le fruit de ces antagonismes ».

Très tôt, le petit Adama commence à voyager dans sa tête. « Comme mon père travaillait avec la coopération chinoise au bureau de la section « plantes nouvelles », je regardais des films sur la Chine en construction et ma vie était rythmée par les indicatifs des stations de radio que mon père écoutait dès qu’il finissait sa prière, le matin. » De quoi alimenter son désir d’évasion. « Mon rêve, c’était les avions. J’étais toujours le nez en l’air à regarder le ciel, quand des avions pulvérisaient des produits contre les mouches tsé-tsé. Et à chaque fois qu’un coucou amenait des pères blancs à Sikasso, je courais jusqu’à l’aérodrome pour le voir atterrir. »

A cette époque, la lecture et l’école occupent une place centrale dans la famille. “Mon père nous disait toujours, à mes sœurs et moi : c’est les diplômes avant le mariage !”. Adama passe donc sa jeunesse à dévorer les livres. « Mon auteur préféré, c’était Victor Hugo avec ses textes politiques sur la liberté. Mais quand je terminais un livre, je devais en faire le compte-rendu à mon père qui vérifiait ce que j’avais appris », se souvient-il.

Il découvre le théâtre à l’école de la mission catholique Saint-Kizito : « On nous projetait des films sur les pièces jouées à la Comédie française, et ensuite, on nous faisait monter sur les planches. » Plus tard, dans les mouvements de jeunes pionniers, il joue des rôles d’enfants et intègre la troupe régionale de Sikasso devant participer à la biennale. « C’est là qu’est né mon désir de devenir comédien. Mais pour arriver à mes fins, j’ai dû me battre contre à peu près tout le monde ! »

L’année du DEF, par exemple, tous les bons élèves sont interdits d’activités culturelles et sportives, considérées comme une perte de temps. Son diplôme en poche, il est donc dirigé vers le lycée technique dans la section industrie. « Quand, par la suite, j’ai dit que je voulais intégrer l’INA, l’Institut national des arts de Bamako, ça a été un « niet » généralisé : qu’est-ce que tu vas aller foutre là-bas ! Tu n‘iras nulle part ! Personne n’était d’accord pour que je bifurque ; ni mon oncle, ni mes professeurs, ni notre proviseur, Mr Keïta. »

Face à tous ces refus, Adama entre en résistance : il file au Ministère de l’éducation pour rencontrer celui qui est chargé des orientations et des bourses, Daniel Traoré. Mais, là encore, il a beau insister, parlementer, argumenter, rien n’y fait : « sors tout de suite, lui est-il répondu, tu es excellent dans toutes les matières, et tu n‘as que 16 ans, hors de question que tu ailles à l’INA ! »

Malgré toutes les portes fermées, Adama ne baisse pas les bras. Il décide de rencontrer le ministre de l’Education de l’époque, le colonel Youssouf Traoré, qui loge à Kati. Pour décrocher un rendez-vous, le jeune garçon a une idée : pendant une semaine, du lundi au vendredi, quatre fois par jour, il se tient debout au bord de la route à l’heure où passe la voiture du ministre et le salue d’un signe de la main. Au bout de huit jours, le colonel Traoré, intrigué, finit par s’arrêter et lui tendre sa carte de visite par la fenêtre. Aussitôt, Adama se rend au ministère pour demander audience. Mais une fois de plus, cette nouvelle tentative pour entrer à l’INA échoue. A cause de ses excellents résultats scolaires, le ministre l’oblige à continuer ses études au lycée technique jusqu’en terminale, en lui disant : « Tu seras un de ces ingénieurs dont le pays a besoin ».

Finalement, c’est seulement au début des années 1980, qu’Adama réussira à s’inscrire à l’Institut national des arts de Bamako. Il en ressortira 4 ans plus tard, major de sa promotion, puis passera le concours d’entrée à la fonction publique et se lancera dans l’animation socio-culturelle. De nouveaux combats commencent.

Dans le cadre de son service militaire, il est envoyé en tant qu’animateur culturel à Gao, à 1200 km de Bamako. « Mais le jour même de mon arrivée, j’ai reçu ma mutation pour Kidal, à 300 km de là. En deux ans de service militaire, j’ai eu 9 mutations. En fait, je dérangeais, car à chaque fois que j’arrivais quelque part, je créais des choses, je montais une troupe avec les populations locales, et comme ça ne plaisait pas à tout le monde, on me mutait. A force de parcourir le pays, je suis devenu ce que j’appelle un baliseur du désert ».

Persuadé que la culture est au cœur des enjeux sociaux, politiques et humains, pendant des années, Adama Traoré continue de sillonner le Mali, pour mener des campagnes de sensibilisation sur la santé de la reproduction, les mutilations génitales, le Sida, la santé mentale… « Pour que les messages passent, il nous fallait trouver une forme théâtrale qui respecte la culture du milieu. J’ai ainsi renoué avec le koteba, ce théâtre d’intervention traditionnel. »

Au début des années 1990, à l’heure de la démocratisation, on l’envoie en tournée dans tout le pays avec la mission de vulgariser le concept de décentralisation. Avec l’aide de sociologues et de linguistes, il monte des pièces qui sont traduites dans les différentes langues du pays. « En plus, on remettait aux autorités locales des K7 audio qui expliquaient oralement ce qu’est la fonction du secrétaire général de la mairie, le rôle du questeur ou du contrôleur financier », détaille-t-il…

Parallèlement à tout cela, Adama Traore mène une carrière nationale et internationale qui donne le vertige : metteur en scène, écrivain, comédien, il enseigne l’art dramatique à l’Ina pendant 10 ans, joue dans une multitude de pièces écrites par les auteurs les plus prestigieux, de William Shakespeare à Sony Labou Tansi, Eugène Ionesco, Bernard Dadié, ou Bertold Brecht. Il est le président de jury de plusieurs festivals internationaux, et est également expert de l’Afrique de l’Ouest auprès de la Commission internationale du théâtre francophone… Mais s’il voyage partout à travers le monde, il reste toujours ancré au Mali avec une obsession : « crier ses racines » et œuvrer (en tant que président de la Fedama, la fédération des artistes du Mali) à ce que la culture soit considérée à sa juste valeur.

« A l’heure actuelle, le budget du ministère de la culture oscille entre 0, 36% et 0,41% du budget national, regrette-t-il. Il y a un manque d’aide à la création et à la diffusion et un manque criant d’infrastructures adaptées. De plus, faute de formation professionnelle, on ne maîtrise pas tous les métiers de la chaîne de production. La section théâtre de l’INA, par exemple, ne forme que des comédiens, et délaisse les autres secteurs de la technique, de la création, de l’administration, ou du numérique. La culture est pourtant un gisement d’emplois et une source de devises potentiels extraordinaires. N’oublions pas qu’avant la crise, la musique était en 3° position dans le PIB, après l’émigration et le tourisme … »

Aujourd’hui, au sein de sa compagnie Acte Sept et en tant que président de la Fedama, Adama Traore n’a donc qu’une idée en tête : aider à ce que la culture devienne l’une des forces du Mali en transition.

Bintou Coulibaly


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