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Les Praticables, 6e édition : Bamako-Coura en scène ouverte !
lundi 8 décembre 2025, par
Bamako-Coura vit depuis quelques jours au rythme des arts vivants. Le quartier, l’un des plus denses et populaires de la capitale, accueille une nouvelle édition du festival Les Praticables, la 6e. Ce rendez-vous est devenu incontournable pour les amateurs de théâtre, de danse, de performance et d’expérimentations artistiques. Plus qu’un festival, c’est une transformation temporaire mais puissante de l’espace urbain. Ruelles, cours familiales, façades d’immeubles, carrefours et terrains vagues se métamorphosent en scènes ouvertes, révélant un autre visage de la ville.
Né d’une volonté de rapprocher la création contemporaine du public, Les Praticables s’impose aujourd’hui comme un laboratoire artistique unique au Mali. Un espace où les frontières entre artistes et habitants s’effacent, où la culture s’invite au pied des maisons, où les passants deviennent spectateurs, parfois acteurs, souvent complices comme nous l’avons constaté avec le film futuriste « Live 2076 » encore intitulé Sini Cinéma, projeté le 6 décembre à l’Institut français du Mali.
Depuis son lancement à Bamako-Coura en 2017, le festival s’est inscrit dans une philosophie simple : faire de la ville un théâtre et du théâtre une affaire de quartier. Cette édition ne fait pas exception.
Chaque journée débute tôt et se termine tard, portée par la rumeur continue de groupes de jeunes, de curieux, de familles entières qui se rassemblent dès que le son d’une répétition ou le rythme d’un djembé s’élève : « Ce qui fait la particularité des Praticables, c’est justement cette proximité », confie le directeur Lamine Diarra. Contrairement aux festivals centralisés dans des salles conventionnelles, ici, les artistes investissent les lieux de vie : une cour intérieure devient un espace pour un monologue intense ; une ruelle étroite accueille une performance chorégraphique ; un mur sert d’écran de projection nocturne. Cette manière d’habiter la ville offre au public une expérience brute, spontanée, souvent émouvante.
Une programmation riche et engagée
Cette année, le festival réunit des dizaines d’artistes maliens et étrangers, venus partager leur vision de l’art et du monde. Les spectacles programmés célèbrent la diversité des écritures contemporaines : pièces intimistes, créations collectives, Fab Lab, performances de rue, parade, lectures et concert de clôture.
Les thématiques abordées sont diverses : les fractures sociales, la mémoire collective, l’exil, les violences, le rapport au territoire, la place des jeunes et des femmes, ou encore la résilience malienne face aux crises successives.
Beaucoup de spectacles sont nés de résidences menées directement dans le quartier, en dialogue avec les habitants. Cette démarche confère aux œuvres une couleur locale authentique, une sensibilité profonde, et une pertinence sociale rarement atteinte dans les circuits plus institutionnels.
Parmi les moments marquants de cette édition, on note la présence de jeunes collectifs de théâtre et de danse qui explorent l’urgence, l’angoisse, l’espoir ou la colère d’une génération. On croise aussi des artistes confirmés venus transmettre un souffle différent, parfois plus classique, parfois franchement expérimental. C’est le cas du comédien Habib Dembélé dit Guimba national qui jouera Dioro Fali, le 11 décembre prochain. L’ensemble crée une mosaïque artistique puissante, à l’image de Bamako : contrastée, vibrante, inventive.
Les habitants, premiers spectateurs et premiers acteurs
Si Les Praticables est si singulier, c’est surtout parce qu’il repose sur une relation organique avec les habitants du quartier. À Bamako-Coura, le festival n’est pas un événement observé de loin : il est vécu de l’intérieur. Les portes s’ouvrent, les enfants courent entre les scènes, les femmes installent leurs chaises, les hommes commentent, rient, discutent longuement. Le public n’est pas homogène : il rassemble étudiants, commerçants, artistes, fonctionnaires, jeunes apprentis, familles entières.
Cette participation spontanée en fait l’un des rares festivals où les œuvres évoluent en fonction du contexte humain.
Un monologue peut être interrompu par un rire collectif, une performance peut s’arrêter quelques secondes pour laisser passer une moto, une scène peut intégrer la réaction d’un enfant. L’imprévu devient matière artistique, et les artistes composent avec l’énergie brute du quartier.
En retour, ce moment culturel intense offre aux habitants un espace de respiration dans un quotidien souvent marqué par des tensions sociales, économiques ou sécuritaires. Beaucoup y voient un moyen de renouer avec la créativité, de se sentir partie prenante d’un mouvement collectif, de reprendre symboliquement possession de leur environnement.
Un rendez-vous citoyen autant qu’artistique
Les Praticables ne se limitent pas aux spectacles. Le festival propose aussi des conférences, des ateliers pour jeunes artistes, et parfois même des formations à la prise de parole, à la mise en scène ou à l’écriture dramatique. Ces activités renforcent la dimension citoyenne du festival : encourager la réflexion, la discussion, l’invention, mais aussi former la relève artistique.
Dans un contexte national où la culture joue un rôle essentiel dans la cohésion sociale, le festival devient un outil précieux. Il crée un espace où l’on peut parler librement, poser des questions difficiles, aborder des sujets sensibles, s’exprimer autrement que par les discours institutionnels. Cette liberté fragile, mais nécessaire est l’un des piliers du projet.
Une respiration culturelle pour Bamako
Alors que beaucoup d’initiatives culturelles peinent à survivre aux contraintes économiques, Les Praticables réussit chaque deux ans à mobiliser un public fidèle et enthousiaste. Sa force réside dans son ancrage local, sa créativité, et sa capacité à réinventer le rapport entre arts et espace social.
À Bamako-Coura, on le dit souvent : pendant quelques jours, « le quartier change de visage ». Les couleurs semblent plus vives, les voix plus nombreuses, les rues plus habitées. Les Praticables rappelle que la culture n’est pas un luxe mais un besoin, une manière de respirer, de se rassembler, de se raconter, de se reconstruire.
À mesure que l’édition se poursuit, il est clair que le festival s’affirme comme l’un des plus importants espaces d’expression contemporaine au Mali. Une célébration du vivant, de l’inventivité, du courage des artistes, mais aussi du rôle essentiel des habitants qui, par leur présence et leur engagement, font de chaque édition un moment inoubliable. Bamako-Coura n’est pas seulement le décor du festival : il en est l’âme.
La rédaction
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