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Grande interview du Ministre de la Sécurité et de la Protection Civile, le Général de Brigade Salif Traoré

vendredi 18 novembre 2016, par Assane Koné

Le contexte sécuritaire s’est considérablement dégradé ces dernières semaines. L’attaque d’Ecobank et celle plus récente de Banamba, sont venus accroître les inquiétudes d’une population habitée par le sentiment que l’insécurité s’étend et que rien n’est fait pour endiguer cet état de fait. Malgré le fait que les forces de sécurité sont de plus en plus formées à parer aux menaces, la crainte d’une défaillance de notre système sécuritaire perdure. Dans ce climat délétère, le ministre de la Sécurité et de la Protection civile, le Général Salif Traoré, répond aux questions de Journal du Mali sur ces sujets brûlants qui font l’actualité et préoccupent les Maliens.

Le contexte sécuritaire semble se dégrader. Comment expliquez vous l’intensification des attaques dans un temps aussi court ?

Les ennemis de la paix s’activent, mais il n’y a pas une faille plus béante qu’avant. Nous sommes en pleine montée en puissance, beaucoup de matériels sont acquis, les formations des forces de sécurité avancent bien avec l’assistance de nos partenaires stratégiques, et nous sommes en train de récupérer du terrain notamment au sud et dans le centre. Mais c’est vrai qu’au même moment, et surtout ces dernières semaines, il y a eu des attaques sur des axes, des postes attaqués et même quelques braquages sanglants à Bamako, alors que nous démantelons des réseaux, des cellules dormantes. C’est assez difficile à accepter pour nous-mêmes mais nous ne devons pas tomber sous le coup de l’émotion. Nous devons rester lucides et tirer les leçons de chaque incident qui survient.

Qui est l’ennemi qui est en face : ce sont des terroristes, des djihadistes, des bandits ?

C’est la même chose, c’est la même famille. Aujourd’hui nous avons du mal à faire la différence entre celui qui se prétend djihadiste, celui qui se prétend terroriste et les bandits de grand chemin. Nous ne faisons pas de différence, et c’est pourquoi à Bamako et environs, la force spéciale antiterroriste que nous avions conçue, préparée et entraînée pour lutter contre le terrorisme, les FORSAT, est employée à présent contre le grand banditisme. C’est elle essentiellement qui est en train de nettoyer les nids criminogènes. Depuis 2 ou 3 semaines déjà, cette force travaille de façon intense.

Cela signifie-t-il qu’auparavant nous n’avions pas les ressources capables de faire cela ? Pourquoi cela commence-t-il seulement maintenant ?

Cela ne commence pas maintenant. Vous savez, pour avoir de la ressource humaine de qualité, il faut du temps. Nous avons nos forces habituelles classiques qui sont là pour la présence, pour les enquêtes, pour la police de proximité. Mais un certain type d’intervention nécessite un certain type de forces. Au Mali, et pas que dans notre pays d’ailleurs, la situation des armes est devenue préoccupante. Beaucoup d’armes circulent. Le banditisme est devenu extrêmement violent, même les petits délinquants détiennent des armes. Face à cette situation, la police classique, les armées classiques ne peuvent pas efficacement agir. C’est pourquoi nous sommes dans une dynamique de rendre les forces plus combatives et de créer des forces spéciales. Cela prend nécessairement du temps. Mais les premiers éléments sont déjà prêts et passent à l’action. Vous les avez vus à l’œuvre au Radisson, également au niveau de l’hôtel Nord Sud. Ce sont ces éléments-là qui, aujourd’hui, de l’avis même de nos partenaires, donnent satisfaction et qui, si d’aventure une attaque terroriste devait avoir lieu, seraient envoyés en première ligne.

L’impression générale c’est que les forces de sécurité ont l’air dépassées par les événements. Les bandits commettent leurs forfaits en toute sérénité sans craindre d’être inquiétés. Est-ce que vous comprenez ce sentiment et qu’y répondez-vous ?

Je ne dirais pas du tout que nos forces sont dépassées. Je peux comprendre le dépit de la population, mais je vous mettrais au défi de me trouver un seul pays où il n’y a pas d’actes de banditisme, de braquages ou de terrorisme. Ça n’existe plus aujourd’hui. Le monde entier doit apprendre à vivre avec ça. Cela nécessite un changement de comportement. Presque tous les cas que nous avons vécu auraient pu être évités ou amoindris si les premiers témoins avaient eu le réflexe simple d’appeler la police, la gendarmerie, la BAC ou d’approcher une autorité quelconque, pour dire « j’ai vu quelque chose, j’ai des doutes ». Le fait qu’il n’y ait pas ce genre de réflexe est un handicap pour nous. Dans d’autres pays, si vous vous trouvez dans un endroit où vous ne devriez pas être, vous allez vous faire arrêter car des gens vont appeler les forces de l’ordre. Ce n’est pas que nous soyons dépassés, bien au contraire, mais le contexte fait aussi que les bandits sont de plus en plus nombreux et de mieux en mieux organisés et équipés.

Est-ce que ce n’est pas aussi une question de posture ? Quand on voit nos policiers dans la ville, on n’a pas l’impression qu’ils soient sur le qui-vive, prêts à faire face. Que faites-vous pour lutter contre cela ?

Nous y travaillons. Vous avez vu que depuis deux semaines nous sommes en train d’ériger sur certains grands carrefours de Bamako, des postes de sécurité en y déployant des hommes à moto. Il y a des véhicules supplémentaires aux carrefours. Les policiers que vous voyez au bord de la route sont affectés à la sécurité routière. Ils sont là pour assurer la fluidité du trafic. Ils ne sont pas là pour combattre, ils n’ont pas été formés pour cela. La police a toujours eu des unités d’intervention. Vous avez la BAC et la BSI qui sont des unités faites pour combattre le banditisme. Vous voyez que ce ne sont pas des unités qui sont préparées pour faire face à des hommes équipés d’armes lourdes. Mais aujourd’hui malheureusement, les bandits nous imposent ce genre de combat en ville et donc cela demande un changement de concept dans la doctrine et c’est ce que nous sommes en train de faire. Je demanderai encore une fois au peuple de comprendre que ce changement, pas seulement au Mali mais partout ailleurs, prend du temps à être mis en place. Il faut changer les habitudes, il faut changer les mentalités, et cela ne se change pas du jour au lendemain. Nous avons des défis au niveau des effectifs, nous sommes engagés dans un grand processus de recrutement et il nous faut constituer de plus en plus d’unités combattantes capables de faire face aux bandits armés.

Il semble y avoir également un déficit de confiance de la population envers les forces de l’ordre jugées souvent corrompues…

Je ne voudrais pas faire de langue de bois en disant que cela n’existe pas. Cela existe ! Mais malheureusement il n’y a pas de corrompu sans corrupteur. Il faut absolument que nous changions positivement et tous ensemble. Aujourd’hui, qu’est-ce qui se passe surtout au niveau de la circulation ? Tout le monde est pressé et, en règle vis à vis des textes ou pas, ce sont les citoyens qui ont tendance à tendre des billets aux agents. On encourage cette forme de corruption. Je sais qu’il peut y avoir des agents qui vont exiger des choses, mais vous devez bien comprendre que cela n’est pas accepté par l’administration. À chaque fois que nous avons un cas confirmé, nous sévissons. Si quelqu’un outrepasse les règles, il est sanctionné et cela peut aller jusqu’à la radiation.

Pourquoi ne pas faire comme en Côte d’Ivoire où cela se passe de manière publique pour lancer des signaux forts ?

Attention ! Ce sont des fonctionnaires de police dont on parle. Il n’est pas bon de généraliser. De plus, venir dire en public « nous avons sanctionné telle ou telle personne », je ne sais pas si c’est productif. Nous avons une inspection interne, nous mettons des moyens à leur disposition pour qu’ils puissent faire des rondes et observer les agents dans leur travail. Ce sont des mesures de discipline qui se prennent en interne. Nous n’avons pas besoin de beaucoup de publicité pour gérer ça. Mais un plaignant avec des éléments de preuve saura ce qu’il advient de sa plainte.

Pour lutter contre les différentes menaces évoquées, le renseignement est tout aussi important. Comment faire quand les populations ont peur d’informer car elles craignent des représailles et savent qu’elles ne seront pas protégées ?

Vous avez parfaitement raison, c’est là le cœur du dispositif. Tant qu’on n’a pas d’informations et donc de renseignements, il nous sera difficile de sécuriser la population. Tant qu’il n’y a pas ce lien de confiance, ça ne marche pas. Nous ne pouvons pas déployer des policiers partout, derrière chaque citoyen. Aujourd’hui, nous sommes en train d’acquérir des moyens technologiques pour compléter ce que l’on appelle le renseignement de source humaine. Nous sommes en train de mettre en place un nouveau numéro vert plus court de 5 chiffres. Ce numéro va être le 80 331. Nous pensons qu’avec cela, partout au Mali on peut appeler pour signaler une activité ou un fait suspect. Avec le système d’intervention que nous sommes en train de mettre en place avec des forces spéciales, nous pensons que nous pouvons réduire raisonnablement les délais d’intervention. En cas d’appel, l’unité d’intervention la plus proche va être activée pour intervenir. Nous comptons sur la bonne coopération de la population pour que cela fonctionne.

Ces derniers jours, il y a eu des centaines d’arrestations. Sont-elles liées aux récents incidents ? À quel niveau en sont les enquêtes ?

Il y a des pistes. Nous avons lancé des opérations de ratissage de Bamako et les zones criminogènes ont été visitées. Il y a eu des rafles. Nous sommes tombés sur des personnes que nous étions en train de rechercher depuis longtemps. Les personnes arrêtées sont identifiées. Si on n’a rien à leur reprocher, on les laisse partir. Mais tout ceux qui détiennent de la drogue ou des armes sont gardés et font l’objet d’un PV transmis au procureur, et la justice aura à trancher.

Sur un autre plan, peut-on relier les attaques qui touchent les FAMAs et les forces étrangères à l’accélération actuelle de la mise en œuvre de l’Accord de paix, la mise en place des autorités intérimaires et le scrutin communal à venir, notamment ?

Je fais la même analyse que vous. Certains ont déclaré qu’ils ne voulaient pas de la mise en œuvre de l’accord. Certains trouvent leur compte dans cette situation. Il est évident qu’ils feront tout pour que la paix et le calme ne reviennent pas. C’est pourquoi toute la communauté internationale et le gouvernement du Mali sont conscients que tant que le Mali ne sera pas stable, on ne pourra pas ramener la stabilité dans le Sahel. Les coups que nous prenons, nos voisins les prennent aussi. Nous comptons d’ailleurs faire une prochaine rencontre avec les différents ministres de la Sécurité. Nous allons les inviter pour échanger des informations. Mais il faudrait pousser cela plus loin comme la rencontre qui avait eu lieu après l’attentat de Grand-Bassam en Côte d’Ivoire.

Justement comment va la coopération sécuritaire entre les différents pays de la sous-région ? On entend souvent dire que le Mali est le « ventre mou ». Est-ce qu’aujourd’hui le Mali a changé de position ?

Le concept de ventre mou n’engage que les personnes qui le disent. Ce que je sais c’est que très peu de pays peuvent résister face à ce que nous avons encaissé. Ce qui nous est arrivé, nous ne le souhaitons à personne. Les autres puissances du monde qui sont atteintes arrivent à déjouer pas mal de coups mais elles en prennent quand même. Si vous vous adonnez à un décompte macabre des actes terroristes, vous verrez que nous ne sommes pas en première position. Cela étant, il n’y a jamais eu de sécurité parfaite nulle part. Dans les attaques terroristes, les gens viennent pour mourir et c’est compliqué de combattre quelqu’un qui vient pour mourir. Nous sommes en train de travailler dessus. Les spécialistes en sécurité ne disent jamais que toutes les dispositions sont prises pour que rien ne se passe, mais nous prenons plutôt toutes les dispositions pour que tout se passe bien.

Iyad Ag Ghaly, l’instigateur de nombre d’attaques contre nos forces et partenaires, court toujours. Il aurait été vu plusieurs fois dans le Nord et plus récemment, l’imam Dicko lui a fait parvenir une lettre par un émissaire. Il y a donc des possibilités de le retrouver ?

Vous avez dit qu’on aurait vu Iyad Ag Ghaly dans le nord, une zone où les forces maliennes et l’administration ne sont pas présentes. Il nous serait compliqué de mener certains types d’opération.

Peut-être pas avec les forces maliennes mais avec la police de la MINUSMA avec laquelle vous travaillez, puisque nos forces ne peuvent aller sur zone pour le moment ?

Iyad a été mis sur une liste rouge, non seulement par les Etats-Unis, mais par d’autres puissances qui sont plus présentes sur le terrain que nous. Nous sommes en relation, nous faisons ce qu’il faut…

Le sommet Afrique-France qui arrive dans quelques semaines. Bamako sera-t-elle prête sur le plan sécuritaire ?

Pour le sommet, nous travaillons avec la France. C’est une co-organisation. L’ambassadeur français en charge du sommet vient très régulièrement ici pour faire le point. Je pense que si la France avait le sentiment qu’on ne pourrait pas le tenir, elle aurait mis en place un plan B. Et comme jusque-là personne n’a entendu parler d’un plan B, c’est que la France considère qu’il est possible d’organiser ce sommet à Bamako.

Il faut donc être rassuré ?

Notre préoccupation c’est la population. C’est elle qui souffre, c’est elle dont l’accompagnement est capital. Si elle ne comprend pas notre action, ça ne peut que démotiver ceux qui sont là et qui risquent leur vie. Ce ne sont pas des extra-terrestres, ce sont des Maliens. Si les forces de sécurité sont citées demain comme les plus performantes, ce sera pour la fierté du peuple malien. Ils sont là pour nous, on doit les encourager, nous aider à redresser les torts qu’ils peuvent commettre ou les imperfections, mais en se disant que c’est finalement pour nous-mêmes. C’est vraiment cet appel-là que je lance, la compréhension et l’accompagnement.

http://www.securite.gouv.ml


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