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2e tour de la présidentielle au Mali/MOE UE : « Progrès dans l’organisation et la transparence… »

mardi 14 août 2018, par Assane Koné

« Un scrutin marqué par des progrès dans l’organisation et la transparence qui restent limités notamment par le contexte sécuritaire ». La déclaration a été faite le 14 août 2018 par la Mission d’observation électorale de l’Union européenne, au cours d’une conférence de presse, à l’hôtel de l’amitié. Ici, nous vous proposons la déclaration liminaire. La MOE a constaté : Une campagne dominée par les contestations et les doutes quant à la sincérité du scrutin ; un second tour sur fond de revendications de l’appareil juridictionnel et du corps préfectoral ; des efforts consentis en faveur de la transparence ; des préparatifs logistiques renforcés pour le second tour ; la distribution et l’utilisation des cartes non-distribuées reste un enjeu ; une période marquée par la partialité des médias audiovisuels d’Etat et des limitations à la liberté d’expression ; les femmes présentes au niveau des membres de bureaux de vote mais peu nombreuses aux échelons supérieurs ; les droits des personnes handicapées insuffisamment pris en compte ; et des résultats contestés par une majorité de candidats mais confirmés pour l’essentiel par la Cour constitutionnelle…

CLARATION PRÉLIMINAIRE
Bamako, 14 août 2018

Un scrutin marqué par des progrès dans l’organisation et la transparence
qui restent limités notamment par le contexte sécuritaire

Cette déclaration préliminaire de la Mission d’observation électorale de l’Union européenne (MOE UE) est présentée avant l’achèvement du processus électoral et présente principalement les développements électoraux de l’entre-deux tours. Elle doit être lue conjointement avec la Déclaration préliminaire du premier tour. Des étapes essentielles restent à accomplir, notamment l’annonce des résultats et le traitement du contentieux éventuel. La MOE UE n’est en mesure de se prononcer que sur les observations effectuées jusqu’à ce stade du processus, et publiera ultérieurement un rapport final comprenant une analyse complète du processus et des recommandations pour les élections futures. La MOE UE pourra également faire des déclarations ultérieures sur l’avancement du processus en cours si elle le juge approprié.

Résumé

• Suite à la proclamation des résultats définitifs par la Cour constitutionnelle le 8 août, qualifiant Ibrahim Boubacar Keïta (41,70 %) et Soumaïla Cissé (17,78 %) pour le second tour de l’élection présidentielle, les tractations avec les candidats éliminés ont été nombreuses. Un regroupement d’une majorité de candidats autour de Soumaïla Cissé s’est mis en place autour d’une plateforme de contestation des résultats, sans aboutir à une coalition homogène. A la veille du scrutin, une grande partie des candidats, dont Aliou Diallo et Cheick Modibo Diarra, n’ont donné aucune consigne de vote en faveur des deux candidats. Le Président sortant, bénéficiant d’un capital de voix plus conséquent, s’est pour sa part assuré du ralliement de certains autres candidats, dont Housseini Amion Guindo.

• La campagne officielle a duré seulement deux jours reprenant les thèmes de l’entre-deux tours dominés par les contestations et les doutes sur la sincérité du scrutin exprimés par le camp du candidat Cissé. Dans le même temps, le Président Ibrahim Boubacar Keïta a poursuivi une campagne essentiellement axée sur le bilan du quinquennat, notamment sur le terrain médiatique.

• Des mesures essentielles relatives à la transparence du scrutin, telles que la publication des résultats bureau de vote par bureau de vote, ont été adoptées entre les deux tours par l’administration électorale, suite aux demandes des partis politiques, des missions d’observation ainsi que de la communauté internationale. Des améliorations dans le domaine logistique ont également été apportées par les autorités électorales.

• La centralisation des résultats provisoires du premier tour au niveau national par le ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation (MATD) a été conduite en présence des représentants de candidats et des observateurs avec des mesures de transparence. La Cour constitutionnelle a confirmé le classement des deux candidats du second tour donné initialement par le MATD. Cependant, les candidats de l’opposition ont souligné des taux élevés de participation corrélés aux faibles taux de bulletins nuls dans les régions du nord où le Président sortant est largement en tête.

• Une compilation des résultats du premier tour, bureau de vote par bureau de vote, a été effectuée par la Cour constitutionnelle sans que cette procédure ne soit clairement définie dans les textes quant aux modes opératoires et aux possibilités d’accès pour les représentants de candidats et les observateurs. Ces résultats finaux diffèrent peu des résultats rendus par le MATD, d’autant que sur les vingt-trois recours qu’a eu à traiter la Cour, vingt ont été jugés irrecevables, les autres ayant été rejetés sur le fond.

• La période de l’entre-deux tours a été marquée par la fermeture administrative autoritaire de la radio d’opposition Renouveau FM sans que la Haute autorité de la communication (HAC) ne se saisisse du dossier en premier lieu. Elle a également été marquée par le ralentissement des réseaux sociaux confirmé de source indépendante ainsi que par une couverture des médias audiovisuels publics en faveur du candidat Ibrahim Boubacar Keïta au détriment de son rival Soumaïla Cissé.

• Pendant la campagne officielle du second tour, les médias publics ont garanti un accès gratuit et égal aux deux candidats en respectant les dispositions du Comité national d’égal accès aux médias d’État (CNEAME). Les médias publics ont cependant favorisé Ibrahim Boubacar Keïta au détriment de Soumaïla Cissé dans les journaux d’information. Du coté des médias privés, très polarisés, la couverture n’a pas été équitable, favorisant l’un ou l’autre des candidats.

• Les femmes représentent un tiers des membres des bureaux de vote observés, mais sont peu nombreuses dans les échelons supérieurs. Malgré une procédure établie dans les procès-verbaux de résultats pour connaître le taux de participation féminine, les données n’ont pas été publiées au niveau national. La seule femme candidate a obtenu 0,36 % des voix et se situe en dernière position parmi les 24 candidats.

La Mission d’observation électorale de l’UE (MOE UE), dirigée par la Chef observateur Cécile Kyenge, députée au Parlement européen, est présente au Mali à l’invitation du Gouvernement malien pour observer l’élection présidentielle du 29 juillet, avec un deuxième tour qui a eu lieu le 12 août. Arrivée le 19 juin dans le pays, la Mission dispose à Bamako d’une équipe cadre de 9 analystes. La Mission a déployé le 2 juillet 20 observateurs de longue durée qui assurent le suivi de la phase pré-électorale, de la campagne électorale et du déroulement du scrutin, ainsi que de la compilation des résultats. Pour le jour du scrutin, la Mission a déployé en tout près de 90 observateurs issus de 25 Etats membres de l’Union européenne, ainsi que de la Norvège, de la Suisse et du Canada.

Observations préliminaires

1. Contexte politique

Le premier tour de l’élection présidentielle, le 29 juillet 2018, s’est déroulé avec la participation de l’ensemble des 24 candidats acceptés par la Cour constitutionnelle. Une réelle crise de confiance s’était pourtant manifestée avant le scrutin sur les questions liées notamment au fichier électoral, aux cartes d’électeur et aux procurations, opposant une majorité de candidats au gouvernement dont la position était soutenue par l’équipe du Président sortant. Le 28 juillet, une réunion rassemblant les candidats, le Premier ministre, les autorités électorales et la communauté internationale a néanmoins permis de dégager un accord autour des conditions du scrutin.

Le vote s’est généralement déroulé dans le calme, en dépit d’incidents sécuritaires dans le centre et le nord. Les résultats provisoires ont été annoncés le 2 août par le ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation (MATD) suivis le 8 août par la proclamation des résultats définitifs par la Cour constitutionnelle. Le Président sortant, Ibrahim Boubacar Keïta (41,70 %) et Soumaïla Cissé (17,78 %) se sont qualifiés, comme en 2013, pour le second tour de l’élection présidentielle qui s’est tenu le 12 août, conformément au calendrier électoral.

La période de l’entre-deux tours a été marquée par le regroupement d’une majorité de candidats autour de Soumaïla Cissé au sein d’un collectif de contestation des résultats axé sur la dénonciation commune d’irrégularités et de fraudes présumées. Ce regroupement n’a cependant jamais abouti à une coalition homogène soutenant Soumaïla Cissé qui n’a pas été en capacité de rallier les autres candidats de l’opposition. Aucune consigne de vote n’a été donnée par Aliou Diallo (8,03 %) ni Cheick Modibo Diarra (7,39 %), respectivement troisième et quatrième du scrutin. Les états-majors de certains de ces partis se sont désolidarisés publiquement de leur candidat. La même tendance a été constatée par les observateurs dans plusieurs cercles parmi les cadres et les militants. Le Président sortant, bénéficiant d’un capital de voix plus conséquent, s’est pour sa part assuré du ralliement de certains autres candidats, dont Housseini Amion Guindo, en cinquième position des résultats définitifs avec 3,90 %.

Quelques jours avant le second tour, le gouvernement a annoncé le déploiement de 6.000 hommes supplémentaires destinés à sécuriser l’élection essentiellement dans le centre et le nord ; régions les plus affectées par l’insécurité lors du premier tour de scrutin avec 871 bureaux où les électeurs n’ont pas pu voter, selon les chiffres de l’administration[1]. La situation sécuritaire a continué à se dégrader dans le centre durant l’entre-deux tours[2]. Dans le nord, le gouvernement a maintenu son dispositif de sécurisation des élections impliquant des groupes armés signataires et non signataires des accords de Paix dont l’impartialité a été mise en cause par la majorité des candidats[3].

2. Campagne électorale

Une campagne dominée par les contestations et les doutes quant à la sincérité du scrutin

La proclamation des résultats définitifs par la Cour constitutionnelle, le 8 août, a lancé la campagne électorale pour le second tour qui n’a duré officiellement que deux jours et n’a pas permis aux deux candidats de mener leur campagne de manière appropriée. Les contestations de la sincérité du scrutin, thème central de la campagne de Soumaïla Cissé, ont commencé dès la fermeture des bureaux de vote au premier tour. Dans le même temps, le Président Ibrahim Boubacar Keïta a poursuivi une campagne essentiellement axée sur le bilan du quinquennat, notamment sur le terrain médiatique.

Comme c’était le cas au premier tour, plusieurs ministres du gouvernement ont battu campagne pour le Président sortant, à Bamako et dans certaines régions. Lors de son seul meeting public de campagne, le Président Keïta, en présence de ses soutiens, a publiquement démenti les accusations de fraudes de son opposant en l’exhortant à accepter sa défaite et a invité la population à ne pas répondre aux appels à la mobilisation. Soumaïla Cissé s’en est pour sa part tenu à une conférence de presse conjointe avec ses soutiens. Il s’est également adressé brièvement à quelques centaines de militants devant son siège en dénonçant à nouveau des fraudes.

En dehors de ces événements, les deux jours de campagne pour le second tour sont passés presque inaperçus à l’exception de porte-à-porte et quelques caravanes. Selon les observateurs de la MOE UE, les cellules locales des partis soutenant Soumaïla Cissé ont tardé à se mobiliser en tablant sur un report du second tour. Comme au premier tour, les leaders religieux ont pesé sur la campagne et les deux candidats du second tour ont rendu visite aux leaders traditionnels et religieux chrétiens et musulmans. Les messages utilisés pendant la campagne, lors du porte-à-porte et de meetings, ainsi que dans les médias et sur les réseaux sociaux, se sont durcis par rapport au premier tour. Les observateurs ont rapporté la diffusion de messages diffamatoires, parfois avec des connotations ethniques, à l’encontre de Soumaïla Cissé. Dans ses émissions radiophoniques, l’activiste Youssouf Mohamed Bathily, dit « Ras Bath », a porté des attaques radicales contre le camp du Président sortant. Son Collectif pour la défense de la République (CDR) a participé activement la veille du scrutin, jour de silence électoral, à une manifestation politique de dénonciation des fraudes électorales.

3. Aspects juridiques

Un second tour sur fond de revendications de l’appareil juridictionnel et du corps préfectoral

La grève des magistrats et de l’administration de la justice a été entamée le 25 juillet. Or la justice est un maillon central de la sécurisation du territoire et du jour de scrutin. Outre les revendications salariales, leurs demandes sont pour la plupart étroitement liées à cette situation sécuritaire :libération du juge Soungalo Koné enlevé par un groupe djihadiste en novembre 2017 et demande de protection accrue des magistrats et leurs agents. Cependant, le second tour a bénéficié comme le premier d’une permanence des procureurs en charge des infractions le jour du scrutin. Ce dispositif minimum reste faible dans le contexte électoral et sécuritaire actuel.

Le 31 juillet, le gouvernement a adopté par ordonnance du conseil des ministres un statut du corps préfectoral. Cette revendication de longue date du corps préfectoral a trouvé opportunément une réponse entre les deux tours de l’élection présidentielle. Ces représentants de l’Etat jouent un rôle prédominant dans le processus électoral, en particulier en matière de centralisation des résultats. Ce statut fixe les conditions de carrière des représentants de l’Etat que sont les gouverneurs, préfets et sous-préfets, mais pas l’encadrement de leurs compétences et moyens d’actions, qui restent disséminés dans différents textes.

4. Administration électorale

Des efforts consentis en faveur de la transparence

Des améliorations essentielles relatives à la transparence ont été enregistrées entre les deux tours. Des candidats, des observateurs, dont la MOE UE, ainsi que la communauté internationale ont demandé aux autorités de prendre certaines mesures renforçant la confiance des acteurs politiques envers le processus. En conséquence, le MATD a publié en ligne le 8 août les résultats désagrégés bureau de vote par bureau de vote (BV), publication intervenue toutefois après la proclamation des résultats définitifs[4]. Deux jours auparavant, le ministère avait publié la liste des bureaux où le vote n’avait pu avoir lieu le 29 juillet[5].

Le rôle secondaire de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) dans le processus a été confirmé par son absence d’intervention entre les deux tours. Elle n’a pas pu observer le scrutin du 29 juillet dans de nombreux BV des régions du nord où les conditions sécuritaires n’étaient pas favorables à une couverture systématique des BV. La CENI, qui aurait dû jouer un rôle de supervision, n’a pas été présente de manière continue à la centralisation des résultats.

Des préparatifs logistiques renforcés pour le second tour

Le MATD a mis en œuvre des mesures destinées à corriger les défaillances organisationnelles du premier tour, malgré les délais serrés. Les autorités locales ont reçu une instruction officielle leur rappelant leurs attributions et leurs obligations, assorties d’un devoir de réserve et de discrétion[6]. Le MATD a également organisé des formations des préfets mettant l’accent sur la centralisation et le remplissage des procès-verbaux (PV). La Mission a observé un manque de maîtrise des procédures dans les bureaux de vote de la part des agents électoraux pour le premier tour. [7]La formation de ces agents entre les deux tours ainsi que le remplacement de ceux ayant montré des lacunes pendant le premier tour a été laissé à la discrétion des autorités locales.

Les bulletins de vote et les documents électoraux ont été commandés avant la proclamation des résultats provisoires et définitifs par le MATD et la Cour constitutionnelle[8]. Les représentants de l’Etat ont pris des dispositions pour le stockage des fournitures réutilisables (urnes, isoloirs, etc.) tandis que la sécurisation des bulletins de vote utilisés lors du premier tour reste à leur discrétion[9].

Les listes électorales n’ont pas subi de modification ni de renouvellement par rapport au premier tour. Le fichier électoral demeure une préoccupation pour les acteurs politiques, notamment en raison de la sous-représentation des jeunes (18-24 ans), qui constituent seulement 11 % des inscrits, et du nombre de décédés inclus dans le fichier.

La distribution et l’utilisation des cartes non-distribuées reste un enjeu

Avant le premier tour, le nombre des cartes non-distribuées s’élevait à 2.012.283, ce qui représente 25 % de l’électorat[10]. Le point sur la situation réalisé depuis par le MATD montre que seulement 1,06% des électeurs ont retiré leur carte dans les BV lors du premier tour. Selon les observations de la Mission, dans plusieurs bureaux de vote les cartes n’étaient pas disponibles le 29 juillet et aucune fiche d’émargement n’avait été prévue. Entre les deux tours, les autorités ont limité cette distribution au niveau des locaux des sous-préfets, ce qui a pénalisé les électeurs résidant loin des chefs-lieux d’arrondissement[11]. En outre, selon les observations de la Mission, la distribution d’entre-deux tours n’a pas été organisée de manière uniforme dans tous les arrondissements. La distribution des cartes le 12 août a connu des améliorations et la MOE a constaté leur présence dans tous les bureaux de vote observés.

5. Médias

Une période marquée par la partialité des médias audiovisuels d’Etat et des limitations à la liberté d’expression

Aucune disposition n’est prévue par la loi pour réguler les médias entre l’annonce des résultats provisoires du premier tour et le redémarrage officiel de la campagne électorale (2 au 8 août). Durant cette période, les médias audiovisuels d’Etat ont sensiblement favorisé le Président sortant au détriment de son adversaire Soumaïla Cissé[12]. La couverture des médias privés s’est polarisée en fonction de leurs affinités éditoriales avec les candidats, se focalisant notamment sur les débats des candidats d’opposition contestataires des résultats du premier tour ou sur les activités du Président-candidat[13]. Le seul débat de cette période entre représentants de la majorité et de l’opposition a été diffusé le 5 août sur Africable TV.

Par ailleurs, cette période d’entre-deux tours a été marquée par des atteintes à la liberté d’expression. Il en est ainsi de la fermeture administrative le 2 août par le gouverneur du district de Bamako de la radio Renouveau FM, connue pour être critique envers le gouvernement[14]. La MOE UE regrette que la Haute autorité de la communication (HAC), pourtant compétente en premier lieu pour les médias privés, ne se soit pas saisie du dossier. La HAC n’a été saisie que le 6 août par le gouverneur avant de prononcer la suppression de l’émission de « Ras Bath » à l’origine de l’affaire et la réouverture de la radio le 11 août, la privant de sa couverture de la campagne. Il a également été constaté un ralentissement ponctuel de l’accès aux réseaux sociaux notable dès l’après-midi du 29 juillet[15].

Pendant la campagne officielle du second tour du 9 au 10 août, les médias audiovisuels étatiques ont garanti un accès gratuit et égal aux deux candidats en respectant les dispositions du Comité national d’égal accès aux médias d’État (CNEAME). Toutefois, ils ont été en faveur du candidat Ibrahim Boubacar Keïta dans leurs journaux d’information[16]. Ils ont par ailleurs continué à diffuser des micros trottoirs de sensibilisation à l’apaisement ainsi que des spots d’éducation civique des électeurs. Le CNEAME a également prévu dans ce cadre un débat entre les deux candidats, qui n’a pas eu lieu faute d’accord. Du coté des médias privés, la couverture des deux candidats n’était pas équitable. Ainsi, Africable TV a largement avantagé Soumaïla Cissé, alors que sur Cherifla TV, ce dernier y était presque absent.

Dans les radios privées, le chef de file de l’opposition a monopolisé à 88 % le temps d’antenne de la radio Kayira, tandis que le Président sortant a occupé près de 90 % du temps d’antenne des radios Kledu et Nieta. S’agissant de la presse écrite, Ibrahim Boubacar Keïta a dominé les espaces rédactionnels des quotidiens Info Matin, l’Indépendant alors que les quotidiens l’Essor, Le Républicain, et les Echos, étaient équilibrés entre les deux candidats. Enfin, signalons que tous les médias ont respecté le silence électoral.

Aucune plainte relative à des discours de haine ou des appels à la violence n’a été enregistrée par la HAC.

6. Participation des femmes

Les femmes présentes au niveau des membres de bureaux de vote mais peu nombreuses aux échelons supérieurs

Les données collectées par les observateurs confirment que la participation des femmes reste faible dans la vie publique et leur inclusion dans les positions de décision est marginale. Dans les BV observés, les femmes représentaient un tiers de tous les membres des BV, mais seulement 15 % parmi les présidents. Dans 14 % des BV il n’y avait aucune femme membre. Au niveau des commissions de centralisation observés au premier tour, dans 14 cercles sur 49 et le district de Bamako la représentation des femmes atteignait à peine 9 %, et aucune femme n’était présidente.

Le taux de participation féminine au vote est prévu dans les procès-verbaux des BV mais n’est pas publié au niveau national. En revanche, le fichier électoral fourni des données désagrégées par sexe, permettant de connaître le pourcentage des femmes inscrites par bureau de vote.

La seule femme candidate, Djénébe Kante N’Diaye, a obtenu 0,36 % des voix et se situe en dernière position parmi les 24 candidats.

7. Participation des personnes handicapées

Les droits des personnes handicapées insuffisamment pris en compte

Les droits des personnes handicapées sont reconnus au Mali mais il n’existe que très peu d’actions et de mesures concrètes pour donner effet à ces droits. Bien que la loi électorale [17] permette aux personnes handicapées de se faire assister par un électeur de leur choix, aucune autre mesure spécifique n’est envisagée pour la participation effective des personnes atteintes d’un handicap [18]. A part le droit de se faire assister, l’administration électorale n’a introduit aucune mesure spécifique en faveur des électeurs non-voyants, sourds-muets et porteurs d’un handicap physique. Les observateurs ont évalué que 37 % des BV n’étaient pas accessibles aux personnes à mobilité réduite.

8. Résultats du premier tour

Des résultats contestés par une majorité de candidats mais confirmés pour l’essentiel par la Cour constitutionnelle

Suite au premier tour, la Mission a observé la clôture et le dépouillement dans 42 bureaux de vote, en suivant l’acheminement des procès-verbaux de résultats vers les commissions de réception. La centralisation locale a été évaluée de manière généralement positive par les observateurs.

Commencée le 30 juillet, la centralisation des résultats provisoires par le MATD au niveau national a duré quatre jours et a été conduite avec un souci affiché de transparence, le ministère permettant aux représentants des candidats de jouer un rôle actif durant cette phase[19]. Chaque représentant a eu la possibilité de soulever des observations et des réclamations pendant la centralisation mais seules sept observations, préparées par le MATD, ont été mentionnées dans le PV transmis à la Cour constitutionnelle. Les observateurs nationaux et internationaux ainsi que la MINUSMA ont été présents.[20]

Le MATD a constaté des erreurs et des incohérences sur certains PV mais n’a pas tenté de corriger ou de trouver des explications aux erreurs des PV de centralisation locale et de l’étranger, se contentant de les signaler à la Cour, seule habilitée à les corriger.

Le MATD a proclamé les résultats provisoires nationaux le 2 août et les a publiés sur son site internet. Le nombre de suffrages exprimés (3.220.501) diffère du total des résultats par candidat (3.201.461). Le PV mentionne un écart non justifié de 19.040 voix entre les votants et les suffrages exprimés[21]. Après le recensement général des votes, la Cour constitutionnelle a proclamé les résultats définitifs le 8 août qui diffèrent peu des résultats provisoires et confirment le classement des deux premiers candidats. Le nombre des suffrages exprimés pour le premier tour est de 3.192.149 et le taux de participation est de 42,70 %.

Concernant les résultats du premier tour, le taux élevé de votes nuls dans certains cercles est notable[22]. Les candidats de l’opposition ont souligné des taux élevés de participation corrélés aux faibles taux de bulletins nuls dans les régions du nord, sécurisées par les groupes armés signataires des accords de Paix. Le Président sortant arrive largement en tête dans ces régions.

9. Contentieux et procédure de compilation propre à la Cour constitutionnelle

Le traitement des recours et de compilation des résultats par la Cour constitutionnelle n’ont pas apporté de changements substantiels aux résultats provisoires, l’ensemble des recours ayant été soit jugés irrecevables, soit rejetés par la Cour. Par ailleurs, la publication des résultats BV par BV n’est intervenue qu’après la proclamation des résultats définitifs, privant ainsi les requérants de la possibilité de les utiliser pour d’éventuels recours.

La Cour a réintégré 1.176 bulletins nuls sans que cela n’affecte significativement les résultats. Cependant, dans son décompte final, la participation a baissé de 28.960 électeurs par rapport aux résultats provisoires. Ceci laisse à penser qu’un nouveau décompte complet des résultats a bien été effectué par la Cour,[23] sans que celui-ci ne réponde à une procédure clairement définie dans les textes quant aux modes opératoires et aux possibilités d’accès pour représentants de candidat et observateurs. La MOE rappelle que dans un souci de nécessaire transparence, toutes les étapes du processus électoral devraient être accessibles aux représentants de candidats ainsi qu’aux observateurs nationaux et internationaux.

La grande majorité des recours des candidats ont été écartés pour une question de délai

Sur les vingt-trois recours déposés à la Cour constitutionnelle, vingt ont été jugés non-recevables car déposés hors-délai.[24] En effet, la Cour s’appuie sur une imprécision de sa Loi organique, qui donnait jusqu’au vendredi 3 août au soir pour déposer les recours portant sur les opérations de vote, et jusqu’au samedi 4 août au soir les contestations de résultats chiffrés de candidats. La grande majorité des recours ayant été déposés le samedi, ceux-ci ont été écartés sur la base de délais prêtant à confusion.

Comme déjà relevé par la MOE, la Cour n’a pas signalé aux requérants clairement et préalablement les moyens de preuve qu’elle accepte. Le recours d’Aliou Diallo, un des quatre recours jugés recevables, a été rejeté pour ce motif, la Cour refusant un constat d’huissier sans autre élément de preuve. En outre, le seul recours de Soumaïla Cissé jugé en partie recevable a aussi été rejeté pour ce motif de preuve. La MOE rappelle qu’il ne peut exister de sécurité juridique pour les requérants sans des procédures claires et déterminées à l’avance.

Oumar Mariko, candidat ayant déjà saisi sans succès la Cour de justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) sur le sujet, a renouvelé sa requête en annulation de l’élection sur la base de l’interdiction de révision électorale dans les six mois précédent un scrutin, sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques. La Cour constitutionnelle a dans ce cas suivi le même raisonnement que la Cour de la CEDEAO en estimant que la révision a eu lieu avec « le consentement d’une large majorité des acteurs politiques » conformément à l’article 2 du Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance.

Enfin, le recours collectif en récusation de six conseillers constitutionnels a été rejeté, la Cour soulignant que cette procédure contre les juges ordinaires ne s’applique pas à la Cour constitutionnelle, ce qui est fondé en droit.

10. Observateurs nationaux et internationaux

Le déploiement dans les régions du centre et du nord a constitué une nette contrainte sécuritaire et logistique pour toutes les missions d’observation, nationale et internationale, pour les deux tours du scrutin.[25]

Le premier tour de scrutin a été couvert par les missions d’observation nationales et internationales, la CENI délivrant 6.550 accréditations. Pour le second tour, les plus grandes missions d’observation nationale, le Pool d’observation citoyenne du Mali (POCIM)[26] et la Coalition pour l’observation citoyenne des élections au Mali (COCEM)[27] ont conservé leur plan de déploiement initial ainsi que le nombre d’observateurs.

Avec 171 observateurs, la Mission d’observation de la CEDEAO, dirigée par l’ancien Premier ministre du Burkina Faso Kadré Désiré Ouédraogo, a été la plus importante en termes d’effectifs pour les deux tours. La mission de l’Union africaine, dirigée par Thomas Boni Yayi, ex-Président béninois, a déployé 48 observateurs. L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) avait délégué une simple mission d’information.

11. Vote et dépouillement des résultats

Le scrutin du 12 août s’est généralement déroulé dans le calme malgré quelques incidents qui ont été principalement signalés dans le nord du pays. La quasi-totalité des bureaux de vote observés[28] par la mission ont ouvert à l’heure. Dans tous les bureaux observés, l’ouverture s’est déroulée de manière transparente et la conduite des procédures a été évaluée comme positive dans 95 % d’entre eux. Dans 20 % des BV observés pour l’ouverture, les membres n’étaient pas présents dans leur totalité. L’acceptation tardive par le MATD de la demande de l’Union pour la République et la démocratie (URD) de changer certains des assesseurs de l’opposition a parfois créé de la confusion.

Les procédures de vote ont été correctement appliquées dans presque la totalité des bureaux de vote visités[29] par la Mission. Dans quelques cas, les observateurs ont néanmoins relevé des insuffisances, surtout liées à l’absence des listes électorales[30] (26 % des BV observés), l’absence de bulletins, et dans 14 % des cas, la disposition du BV ne garantissait pas le secret du vote. La présence des cartes d’électeur dans les BV a été généralement relevée dès l’ouverture, constituant une amélioration par rapport au premier tour. L’affluence a été qualifiée d’assez faible par les observateurs, ce qui pourrait se traduire par un taux de participation plus réduit que lors du premier tour. Les délégués des candidats étaient présents dans 98 % des bureaux de vote observés.

Le dépouillement a généralement été conduit de manière transparente et des améliorations ont été constatées par rapport au remplissage des procès-verbaux des 37 BV observés pour la clôture et le dépouillement. Cependant, les résultats ont été affichés à l’extérieur dans seulement 64 % des BV observés. Les assesseurs et délégués de partis politiques ont reçu les résultats dans 95 % des cas. Les observateurs nationaux étaient présents pour le dépouillement dans seulement 61 % des BV observés pour la clôture. La Mission poursuit actuellement l’observation de la centralisation des résultats.

Les autorités ont mis en œuvre des mesures supplémentaires de sécurisation des élections, déployant quelque 6.000 hommes le 12 août. Malgré cela, quelques incidents se sont produits dont le plus sérieux a eu lieu dans le cercle de Niafunké dans la région de Tombouctou où un président de bureau de vote a été assassiné par des individus armés. Dans diverses régions, et en particulier à Mopti, de nombreux bureaux de vote n’ont pas ouvert en raison de l’insécurité et de l’inaccessibilité[31]. La journée électorale a aussi été marquée par des allégations à propos de bulletins pré-marqués et d’achats de votes. Cinq membres de l’équipe de communication du candidat Cissé ont été interpellés par des forces de sécurité puis relâchés le jour du scrutin.


[1] La région de Mopti a été la plus affectée, où, avec 729 bureaux de vote non-ouverts, au total 20 % d’électeurs inscrits ont été privés de leur droit de vote.
[2] Le 31 juillet, un convoi des forces armées maliennes a été attaqué dans la région de Ségou par des hommes armés non-identifiés, faisant quatre morts parmi les militaires maliens, et huit morts parmi les assaillants ; trois agents électoraux enlevés à la veille du premier tour de l’élection dans le cercle de Bandiagara par un groupe terroriste ont été retrouvés morts quelques jours plus tard ; le 7 août, à Sofara, dans le cercle de Djenné, les chasseurs traditionnels Dogons ont enlevé, puis exécuté, 12 civils peuls.
[3] De plus, les groupes armés signataires et non signataires, qui sont souvent constitués sur une base ethnique, opèrent en dehors de tout contrôle étatique. Certains groupes sont accusés d’avoir commis de graves violations des droits de l’homme.
[4] Pas de mise en ligne des résultats pour les cercles de Nara, Abeibara et Youwarou. Pour les cercles de Kidal, Tessalit et Tin Essako,situés dans la région de Kidal, les résultats sont publiés par commune et non par BV.
[5] La liste complète contient 871 bureaux de vote (dont 2 à Koulikoro, 39 à Ségou, 729 à Mopti et 101 à Tombouctou) dans 688 centres de vote totalisant 245.822. La liste ne précise pas les motifs pour lesquels le vote n’a pas eu lieu.
[6] Instruction du MATD No. 2018-000691 du 7 août 2018.
[7] Plusieurs PV apportés par les préfets à la centralisation nationale pour le premier tour ne comportaient pas les signatures des tous les membres, le cachet manquait parfois et à plusieurs reprise la Commission a été obligée de faire elle-même le total, le PV reçu ne contenant pas le total par cercle mais seulement par commune. Ces problèmes révèlent une formation insuffisante des préfets et surtout des membres des missions diplomatiques et consulaires.
[8] Le MATD a prévu plusieurs scénarios et a imprimé les bulletins de vote en trois versions, en établissant des combinaisons des trois candidats les mieux placés.
[9] Selon la loi électorale, les bulletins de vote sont conservés pendant trois mois après Ie scrutin au niveau du Gouverneur du District, du Préfet, de l’Ambassadeur et du Consul ce qui n’a pas été le cas dans tous les cercles selon les observateurs de la MOE.
[10] Selon le point de situation réalisé par le MATD le 28 juillet.
[11] Le MATD n’a pas fourni de données sur la distribution des cartes entre les deux tours.
[12] L’ORTM (télévision) et la Radio nationale ont attribué 58 % de leur temps d’antenne au gouvernement, 39 % à Ibrahim Boubacar Keïta (36 % au candidat, 3 % au Président) contre 3 % à Soumaïla Cissé.
[13] Africable TV a accordé 46 % de sa couverture à Soumaïla Cissé contre 33 % à Ibrahim Boubacar Keïta. Ce dernier a occupé la quasi-totalité du temps d’antenne de Cherifla TV.
[14] Cette décision administrative a été prise en raison de propos, incitant selon les autorités « à la révolte et à la haine », tenus à l’antenne le 31 juillet par le chroniqueur “Ras Bath”, soutien déclaré du candidat Soumaïla Cissé.
[15] Ces difficultés d’accès aux réseaux sociaux ont été confirmées par la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) et condamnées par l’ONG internationale Internet sans frontières https://internetwithoutborders.org/mali-censure-des-reseaux-sociaux-pendant-lelection-presidentielle-de-2018/.
[16] ORTM TV a accordé 33 % de son temps d’antenne à Ibrahim Boubacar Keïta contre 27 % à Soumaïla Cissé et 41 % au gouvernement. La Radio nationale a crédité Ibrahim Boubacar Keïta de 27 % de son temps d’antenne contre 16 % à Soumaïla Cisssé et 56 % au Gouvernement.
[17] Selon l’article 92 de la Loi électorale, tout électeur atteint d’infirmité certaine le mettant dans l’impossibilité d’introduire son bulletin dans l’enveloppe ou de le glisser dans l’urne peut se faire assister par un électeur de son choix.
[18] A titre d’exemple : l’accès aux messages et à l’information pour les électeurs non-voyants et sourds-muets, l’accès aux lieux de vote pour les handicapés physiques, l’accès au matériel électoral pour les électeurs non-voyants et pour les électeurs porteurs d’un handicap physique.
[19] Les représentants des 24 candidats ont été présents pendant la centralisation.
[20] La MOE UE a observé en permanence la centralisation nationale, ainsi que la CEDEAO, l’OIF, l’Union africaine, le POCIM et la COCEM.
[21] Selon les analyses de la Mission basées sur les résultats transmis par voie électronique, les résultats à l’étranger enregistrent une différence de 18.948 voix entre les suffrages exprimés et les voix par candidat. L’inclusion de ce différentiel dans les 19.040 voix d’écart n’est pas clairement établie dans le PV transmis à la Cour. Les 24.109 suffrages exprimés non attribués à Kati ne sont pas davantage inclus dans l’écart de 19.040 voix mentionné par le MATD. La manière dont la Cour a traité cet écart reste inconnue.
[22] En particulier dans les régions de Kidal et Gao.
[23] La Cour a recruté du personnel supplémentaire pour l’occasion.
[24] Dont les dix-sept recours individuels de Soumaïla Cissé, sauf un jugé en partie recevable.
[25] Selon la Déclaration préliminaire du POCIM en date du 30 juillet, des menaces sur des observateurs du POCIM par des hommes armés ont été relevées dans les localités de Doual et Diardé près de Tombouctou.
[26] Qui a bénéficié du soutien financier de l’UE.
[27] Qui bénéficie de l’appui du National Democratic institut (NDI).
[28] 40 BV observés à l’ouverture.
[29] 364 BV observés pendant la journée pour les procédures de vote.
[30] Les listes étant affichées pour le premier tour, le MATD n’a pas considéré nécessaire de faire une réimpression de ces listes.
[31] En date du 13 août, 490 BV, dont 440 dans la région de Mopti, n’ont pas ouvert, source ministère de la Sécurité et de la protection civile.


Voir en ligne : 2e tour de la présidentielle au Mali/MOE UE : « Progrès dans l’organisation et la transparence… »

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