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Serge Bilé après l’attaque de Bassam : « Je revois la plage de Grand-Bassam, mais le sable est maculé de sang »
lundi 14 mars 2016, par
Il est journaliste. Il est ivoirien natif de Grand-Bassam. Et en pareilles circonstances, il ne peut que rendre hommage à Bassam, cette terre qu’il adore et que nous adorons avec lui. A Bassam, la plage d’Azzureti restera pour nous plein de souvenir et nous ne croyons pas que des AK 47 pourraient nous éloigner d’elle. Peut être seul la mort, comme ce fut le cas de ces innocents tombés.
La dernière fois que je suis allé à Grand-Bassam c’était pour me recueillir sur la tombe de ma grand-mère. La vieille Affibah Morrison repose à la sortie de la ville. Je me suis assis un long moment sur le marbre pour causer avec elle, comme si j’avais le pouvoir de ressusciter une morte en lui murmurant que je l’aime.
Au moment de la quitter, en prêtant un peu plus attention aux bruits rapprochés des vagues, j’ai réalisé que le phénomène d’érosion avait gagné du terrain : la mer avait encore grignoté le sable, faisant craindre qu’un jour les flots ne balaient les bungalows et n’envahissent le cimetière.
A midi, je suis allé déjeuner, avec mon cousin Kablan Miezzan au restaurant de la plage. On a mangé, comme d’hab, du poulet braisé avec de l’attieke, arrosé d’une bonne sauce tomate et de quelques oignons. C’était si bon !! Tout autour de nous, il y avait de l’ambiance, de la musique, de la gaieté. Les gens blaguaient, riaient fort, s’amusaient. D’autres marchaient les pieds dans l’eau, de long en large, avant de plonger la tête la première et de se baigner.
Les filles étaient superbes, et on avait mal aux yeux, rien qu’à les regarder. Non loin de là, des banas banas interpellaient les passants pour leur vendre toutes sortes de bibelots. Je me souviens d’avoir négocié, avec l’un d’eux, à l’accent sénégalais, un beau batik, un grand pagne, et un joli collier en malachite pour quelques amis martiniquais. Je marchandais d’ailleurs comme personne, tout en sachant qu’une affaire n’était bonne que si les deux parties étaient gagnantes...
La plage, les gens, la mer, les cocotiers, les marchands ambulants, l’insouciance, bref la vie : c’est tout ça qui fait le charme et la beauté de Grand-Bassam. Une ville calme, paisible, sans histoire, qui n’en est pas moins chargée d’histoire, avec ses bâtisses coloniales qui rappellent le rôle capitale qu’elle a joué par le passé... Oui, j’ai toujours aimé Grand-Bassam. C’était mon havre de paix, mon petit coin de paradis. Quand j’étais plus jeune, c’est là que je rêvais de m’installer, d’acheter une maison, et de vivre...
Aujourd’hui, je regarde à la télé, incrédule, médusé, interdit, des images insoutenables. Je revois la plage de Grand-Bassam, mais le sable est maculé de sang. Je revois mes amis de Grand-Bassam, mais ils pleurent, ils crient, ils tremblent, quand ils ne sont pas étendus par terre, inanimés. Je revois le soleil de Grand-Bassam, mais il est pâle et sombre, comme la terreur qu’on voudrait lui imposer par la force et par les armes.
Triste spectacle et tristes hommes que ces fanatiques qui croyaient faire plier toute une ville et toute une nation, en tirant au hasard dans la foule. C’est oublier que les gens de ce pays, où qu’ils soient de par le monde, sont comme leur emblème, dont ils sont si fiers : comme les éléphants, ils ont assez de mémoire pour honorer celles et ceux qui sont tombés ; comme les éléphants, ils ont assez de force pour se relever ; comme les éléphants, ils ont assez de puissance pour reprendre leur marche en avant...
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