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La résilience comme inter-action créatrice :L’association Jeunes Artistes d’Avenir à la quête d’une société-monde

mardi 8 juin 2021, par Assane Koné

« La résilience en art s’impose pour pouvoir redonner à l’art sa puissance d’immerger l’homme dans le monde », Ksenia Milicevic.

L’homme est jeté dans un monde qui vibre comme une ombre sombre. Il tente de le comprendre, de l’agencer et de transcender sa fragilité première en faisant l’expérience de la quête du sens. Pour surmonter sa propre vulnérabilité, il tente de s’affirmer et s’active à faire de cette fragilité une force ; car pour Laurence Vanin, « être jeté au monde », c’est aussi être jeté dans un monde énigmatique qu’il importe de le comprendre, afin d’exister avec l’autre. Ce monde mystérieux crée un lien unissant entre l’être et la société. Il lie et relie notre façon d’être et « d’être-avec » l’autre. Il s’agit notamment d’une sorte de reliance ou « (…) d’une double transcendance vers un monde et vers un autrui », écrit Ricœur. L’art nous relie à un autre monde, un monde autre, permettant la construction de soi dans l’être collectif.

Avec la crise de la Covid 19, l’art habite ce nouveau monde celui du confinement qui nécessite que l’on fasse appel à la créativité et à l’innovation. Suite à la première édition de l’exposition virtuelle internationale organisée en 2020 sous le titre « Quand le confinement devient une puissante source de créativité », l’association Jeunes Artistes d’Avenir (JAA) lance la deuxième édition de l’exposition virtuelle confinement 2 dont le thème est la « Résilience ». Cette exposition s’est déroulée du 10 avril au 10 juin 2021 en rassemblant soixante artistes plasticiens et visuels issus du monde entier, afin de porter un regard collectif sur l’importance de la résilience des artistes en tant qu’arme offensive contre le Covid 19. Une exposition fondée sur la variété des pratiques artistiques telles que la peinture, la sculpture, l’installation, la performance, le tissage, la mosaïque, la caricature, le design…etc. Des sujets diversifiés qui offrent un air fleuri issu d’un nouveau mode de vie basé sur des démarches artistiques qui sont suivies par des pensées et donnent envie à dépasser le passé. La liberté, l’éveil, la paix et le vivre ensemble dans la diversité sociale, religieuse et culturelle sont les sujets principaux abordés qui révèlent la scène africaine et se révèlent à travers la figuration-abstraction, l’écriture-peinture sous son aspect textuel-visuel. Un nombre considérable des artistes de l’Afrique, la France et le Canada offrent un tout plastique et un nouveau regard sur le devenir de l’art contemporain africain.

Cette association (JAA) tend à ouvrir une fenêtre dans l’espoir d’une nouvelle page d’histoire contemporaine pleine de nouvelles espérances. C’est la présidente de l’association Rose Brière de l’Isle qui participe avec amour à l’évolution de l’art dans le continent africain. Son maître mot est énergie qui procède du dedans et s’alimente au-dedans, voire dans un esprit spirituel. Une femme attentive qui dirige ces jeunes artistes d’avenir à chercher et rechercher un chemin pour aller jusqu’à demain et recevoir ce parfum de l’être collectif. Ces artistes sont capables de changer le regard que l’on porte sur le monde actuel où chacun questionne son environnement, il le compose, superpose les techniques, se libère et trace un parcours fait d’expérimentation et de réflexion. Sa pensée porte aussi la trace de la mémoire et de la contemporanéité. Ainsi, le regard sur l’environnement et la vie se modifie en transformant tous les moments qui la composent en une pratique artistique contemporaine.

Faire acte de résilience, se réinventer dans une nouvelle vie

L’expérience du confinement a permis à chaque artiste d’interroger et de s’interroger sur ses capacités à s’adapter à ce nouveau mode de vie. La crise de la Covid 19 a invité chacun à faire acte de résilience et à se réinventer dans sa vie à travers sa création artistique. Ainsi, tout participant a créé son espace par le métissage des éléments plastiques en offrant un nouveau registre symbolique et un langage qui favorise une certaine lecture sémiologique et sémantique. Une recherche exclusive du signe qui fait à la fois forme et couleur dans les espaces picturaux en oscillant entre essence et apparence. À travers son œuvre « La ronde autour du monde », l’artiste canadien d’origine congolaise Maître Nshole a focalisé son attention sur le surgissement des signes, formes et symboles, afin d’associer dans sa peinture les racines de la culture africaine et la recherche abstraite dans la picturalité contemporaine. Entre identité africaine et conception dite contemporaine, la majorité des artistes africains participants met en exergue des techniques purement traditionnelles pour aboutir à un rendu pictural. Cette culture traditionnelle marque la valeur des peuples africains. Ce sont des réalités qui font partie des coutumes et traditions de ces peuples. D’ailleurs, l’artiste ivoirien Yehan Monde Guy Richard apporte la culture traditionnelle à travers l’utilisation de certains pigments naturels qu’il applique sur sa toile. C’est cette technique traditionnelle que l’artiste essaie de mettre en lumière à travers la contemporanéité de sa pratique picturale qui est basée sur le geste et la dynamique spatiale et chromatique.

De même, le plasticien Raoul Wansi valorise la culture camerounaise comme la danse et la musique en traçant un itinéraire de vie qui donne envie à transmettre un certain savoir-faire à la nouvelle génération des plasticiens africains. En s’inspirant du cubisme, ses peintures s’inscrivent dans un contexte africain à travers le sujet, la forme, la composition et la couleur. Ainsi, le retour aux références artistiques et l’utilisation des techniques traditionnelles africaines permet-il d’aller au-delà de la peinture figurative, afin de créer une démarche dite contemporaine ? Dans quelle mesure le mixage entre ces styles picturaux mène à créer une identité hybride ? Et cette identité peut-elle qualifier ces œuvres en tant que pratiques artistiques contemporaines ? C’est cette voie de résilience qui voit la conciliation entre l’art et la vie et conduit les artistes à réinventer et se réinventer dans une nouvelle vie. Comme l’écrit Boris Cyrulnik « Être résilient, c’est aller vers un nouveau développement, c’est oser et surtout imaginer une nouvelle réalité ». Une réalité autre qui se révèle à travers la vie quotidienne comme source d’inspiration pour ces artistes, afin de la vivre poétiquement. Il y a une nécessité d’une réforme de vie car vivre c’est la poésie de la vie où la pratique artistique sollicite une recherche pour un mode de vie basé sur une certaine philosophie. D’ailleurs, Fréderic Nietzsche revendique l’artiste philosophe qui veut faire de sa vie une œuvre d’art. Il est ni simple artiste, ni philosophe théorisant, le philosophe-artiste est celui qui sera d’abord et avant tout le poète de sa vie. Comme d’autres artistes où la résilience comporte l’idée d’un projet de vie, le peintre guinéen Souleymane Foungourou aborde le sujet de l’enfant qui souffre en ces temps de crise sanitaire en utilisant une technique mixte basée sur le collage et le recyclage des éléments naturels et chromatiques. C’est à travers la récupération et le recyclage que des artistes participants ont interrogé la question de la vie avec une quête continue des supports, des médiums et des techniques. N’est-ce pas cette quête qui participe à faire inscrire ces œuvres exposées dans un esprit dit contemporain ? Dans quelle mesure cette nécessité d’une réforme de vie joue un rôle primordial dans l’évolution de la création artistique contemporaine ?

L’association JAA, vers l’imagination créatrice

Aucun intérêt n’existe s’il n’y a pas de vie, parce que s’intéresser à une chose c’est avant tout sympathiser avec sa vie. Dans le cadre de cette exposition virtuelle, chaque création artistique contemporaine participe pleinement à la vie de manière créative et innovante. La résilience a poussé chaque artiste vers l’imagination, l’innovation et la création, afin de changer sa manière de voir et de penser. Mais que signifie créer ? Ce verbe qui exprime l’acte de création n’implique-t-il pas la notion d’originalité, d’unicité ? Gaston Bachelard réduit l’imagination à sa dimension purement créatrice parce qu’elle crée une réalité neuve et surprenante. Il s’agit de créer un nouveau monde de l’œuvre qui en elle-même devient un système d’interaction qui prend sens à travers la matière, les structures symboliques et les préférences chromatiques. Chaque artiste participant crée son propre univers plastique et visuel en interrogeant le spectateur à interpréter le monde de son œuvre. Comme l’ajoute Paul Ricœur « Une œuvre ne reflète pas seulement son temps, mais elle ouvre un monde qu’elle porte en elle-même, et ce qui est en effet à interpréter (…) c’est une proposition de monde, d’un monde tel que je puisse l’habiter ». Un « monde possible » issu de la pensée de l’artiste et de la matière-émotion qui participe pleinement à donner à l’œuvre un singulier éclat. Et si l’on accepte que la matière-émotion puisse être capable d’influencer l’artiste dans son propre rapport avec les choses, ne peut-on pas dire que l’imagination est créatrice et elle est transformation de lui-même ? Transformation de sa manière d’être, afin d’établir une transformation sociale ?

Cette expérience particulière du confinement est basée sur l’imagination créatrice et l’expérimentation des différents médiums et techniques. C’est l’énergie créatrice et renouvelable de chaque artiste participant qui permet de créer un système plus résilient pour la vie de chacun et pour la société. Sa manière de penser et ses aspirations ont besoin de se concrétiser et de donner naissance à des mesures pratiques pour créer ce monde de la reliance entre soi et autrui qui ouvre la voie à un monde de la résilience et voit l’innovation sociale et l’évolution de la conscience.

Ainsi, les symboles, les formes et les signes circulent dans un monde imaginaire et s’articulent sur les surfaces picturales en mettant en exergue la notion d’africanité tout en suivant une certaine esthétique de vie. « J’ai une vision simple de la vie où mes personnages décrivent le quotidien du citoyen lambda dans tous ses états et scènes de vie (…). Tout subit immédiatement une déformation esthétique unique, afin de montrer en dérision la vie tout simplement », écrit l’artiste ivoirien Quyphaud Constant Koffi. À travers son œuvre présentée, le regard est orienté vers les nouveaux personnages crées, la combinatoire des formes et des couleurs, afin d’apporter une autre approche sensitive de la vie. Les notions d’unicité et d’originalité sont fondées sur les possibilités de l’imagination de chaque plasticien.

En ce sens, l’artiste français Lydie Itasse travaille en numérique en mélangeant les styles et en utilisant le collage, la peinture digitale pour créer la troisième dimension dans ses espaces picturaux. C’est son imagination créatrice d’un nouvel espace-temps qui justifie l’importance du médium choisi, afin de peindre autrement et innover picturalement. De même, le croisement des disciplines artistiques spécifie certaines pratiques contemporaines présentées où l’artiste imagine et crée librement une nouvelle réalité de son œuvre. Allant du peintre-performeur congolais Mohamed Lisongo qui offre un nouveau regard sur les femmes antiques de l’Afrique au plasticien- installateur ivoirien Patrick Yapaud qui présente un jeu de pixel traduisant la dynamique de vie dans toutes ses facettes, ces pratiques interdisciplinaires sont le fruit de l’énergie et de l’imagination créatrice fondée sur une certaine philosophie de vie. « Transformation dynamique » est l’intitulé de la philosophie du jeune artiste congolais Obin Luyindula Nkoya qui cherche la lumière intérieure en défendant les droits des enfants dans la vie quotidienne.

À vrai dire, n’est-ce-pas précisément cette possibilité d’imaginer et de comprendre autrement ce monde permet de révéler les potentialités créatrices des artistes à travers les voies de la résilience ? Ces voies nécessitent la créativité et la réinvention de la part de chaque artiste, afin d’aboutir à une pratique contemporaine interdisciplinaire fondée sur des interactions dynamiques dans et avec un environnement. Les jeunes artistes d’avenir (JAA) sont amenés à écouter l’invisible, à se projeter dans l’imprévisible, à résister face à cette crise sanitaire, afin de découvrir les dimensions d’espace et du temps. Par le biais de l’imagination créatrice, ils peuvent enrichir leurs manières de vivre dans le monde en suivant un processus actif, créatif, temporel et évolutif. En se reliant à la vie et à l’environnement, ces artistes peuvent sortir des logiques traditionnelles et réincarner leurs actions. Ainsi, comment chercher à comprendre l’interaction des humains avec l’environnement pour créer une inter-action créatrice issue du monde résilient ?

Le monde de la résilience, à la recherche des interactions sociales

Étant donné que le monde résilient assimile l’art à la vie et la création artistique contemporaine se réclame dans la relation entre individu et société, la résilience constitue un champ générateur qui anime les individus, les collectivités et les sociétés. Lors de cette exposition virtuelle confinement 2, chaque artiste s’adapte de façon créative à des conditions en perpétuelle évolution. Il trouve de nouvelles manières de mener sa vie et sa société en se basant sur son énergie créatrice, sa résistance au changement et sa volonté d’essayer de nouvelles alternatives. Ce qui fait que la résilience est un processus de recherche active ou selon John Dewey comme méthode de l’enquête des connections qui conduit à vivre de nouvelle façon en développant la connaissance de soi et la sociabilité car l’homme est un être social.

En mettant l’accent sur la notion de la résilience permettant la résistance, le changement, l’imagination et la création, nous pouvons chercher à comprendre cette sorte d’interaction avec la société à travers la notion de la reliance qui se définie comme l’action de relier et de se relier à un monde de découverte et de redécouverte. D’ailleurs, l’action, remarque encore Ricœur, est toujours interaction : « l’action est interaction, et l’interaction, compétition entre projets tour à tour rivaux et convergents ». Cette interaction contribue à l’évolution de la création contemporaine africaine où l’association (JAA) s’engage à nous relier par l’action et la création. Cette association est à la quête d’une société-monde qui fait référence au monde de la résilience qui est un monde de « transaction ». La résilience en tant qu’un processus transactionnel met l’accent sur la relation entre l’être et la société, afin de se réinventer dans la vie, transcender les difficultés et empêcher cette société-monde à se former. C’est ainsi le désir de se « re-lier » au monde et de « re-créer » des pratiques artistiques pour et dans la collectivité. Ces pratiques contemporaines interdisciplinaires incluent la richesse des expériences de vie au cœur même de la création. Elles favorisent une certaine inter-action créatrice d’un nouveau monde, voire d’une société-monde. Les Jeunes Artistes d’Avenir ont toujours recours à l’imagination et à la création pour aider les autres à respirer le tissu artistique de la collectivité.

À travers cet acte de résilience, de nombreux artistes participants ont posé la question de l’être qui est, selon Paul Ricœur, un être agissant/souffrant, « capable » de changer et de créer son monde. Cet Être ou cet individu est un être-en-relation, en interaction avec et dans la société. Dans le cadre de cette exposition virtuelle, l’artiste visuel congolais Krystian Muzadi accorde une importance particulière au terme "BÒMÒTÒ" qui littéralement traduit par l’Être. En se référant à la citation suivante « le plus grand voyageur n’est pas celui qui a fait dix fois le tour du monde, mais celui qui a fait une seule fois le tour de lui-même », l’Être est au cœur de son travail plastique et visuel en mettant en lumière non seulement le corps, mais aussi et surtout l’âme et l’esprit. Ses œuvres déploient, découvrent et révèlent cette recherche de l’être profond, afin de l’éveiller et de le réveiller.

La construction d’un processus de résilience demande du lien, du sens et des interactions qui viennent réactiver les pensées communes. Les artistes explorent la question fondamentale de notre façon de vivre en société et de coexister à travers leurs pratiques artistiques. C’est l’association Jeunes Artistes d’Avenir (JAA) qui s’engage envers la diversité et envers l’autre, afin de former une société-monde, un monde-paix. Un monde qui s’actualise dans une ouverture créatrice d’un dynamisme artistique, culturel et environnemental. À travers cette exposition virtuelle, cette association ouvre le chemin vers la lumière en une sorte de remise en question de la nécessité de voir et de revoir la vie autrement, afin de faire acte de résilience permettant l’évolution de l’art contemporain africain.

Ikram Ben Brahim


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