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Festival « Les Praticables 2021 » : La Chronique n°1 de Pascal Collin

samedi 4 décembre 2021, par Assane Koné

Les Praticables moins 10. L’angoisse monte. Dans dix jours, le 6 décembre, commence le festival des Praticables à Bamako-coura. Les artistes travaillent, se préparent fébrilement. Où en sont-ils ? Voici quelques nouvelles fraîches du front : les lignes qui suivent constituent le premier épisode d’une chronique du festival qui nous tiendra en haleine, en tous cas s’efforcera de vous informer quotidiennement de l’activité, intense et multiple, qui se déploiera sans relâche jusqu’à la soirée de clôture du 12 décembre… Elle prendra pour cette première la forme d’une déambulation dans la ville, parmi les lieux de répétition. Hier donc, nous n’étions encore que le 26 novembre, que s’est-il passé ?

14h – En quittant le bureau des Praticables, au quartier du fleuve, on croise Androa sur le goudron. C’est son espace, la rue. C’est de là souvent, du monde réel, que surgissent les performances qui décrivent ses états intérieurs. Ça paraît paradoxal. Pourtant c’est évident quand on voit le travail d’Androa. Vous verrez. Deux danseurs / performeurs sautent devant le grin du thé de la rue, se heurtent, Androa se mêle à eux, alors que passe, ébahie puis amusée, une marchande de fruits. On ne les dérange pas, on les laisse à leur travail.

15h – On arrive au cœur du quartier de Bamako-coura. Francky Belany, Nigérienne, qui fait partie du programme des jeunes artistes « émergents » du festival 2021, est la metteure en scène du Vestibule des sages, pièce de théâtre qu’elle a écrite et dans laquelle elle tient aussi un rôle. La représentation aura lieu dans un maquis bien connu, le PUB du quartier du fleuve. Pour l’heure elle est avec son actrice principale Aïssata dans la remise ombrée d’une cour familiale. Toutes deux sont plongées dans un travail « à la table » : l’acteur masculin (Fama) n’étant pas là, Francky prend son texte en charge et le lit avec Aïssata. Elle en change un mot, une phrase, en coupe un bout ou en rajoute un autre, commente ses enjeux, trace des pistes pour la représentation. Les paroles sont fortes, convaincues, le combat d’arguments entre un homme et une femme au milieu d’une soirée abreuvée se prépare avec jubilation…

15h45 - On les quitte en pleine excitation créatrice pour remonter la rue 369, sortir des limites du quartier et débarquer, derrière la prison centrale, en plein tournage du film Borderline réalisé par Marwen Ben Cheick, autre « émergent », artiste tunisien aux multiples facettes. Pas question de spoiler, donc de vous raconter quoi que ce soit du contenu du film que vous verrez. Disons simplement que ce jeudi 26, derrière la prison, c’est l’événement. Le tournage a rassemblé une nuée d’enfants dont le rassemblement forme comme un mur de visages et de couleurs entre la rue principale et la venelle où s’affaire l’équipe de Marwen. Le ballet formé par les techniciens, acteurs, musiciens (toute une fanfare !), maquilleuse, photographe, etc. est en effet fascinant. Au milieu, Marwen est en perpétuel mouvement, donnant des directives, s’arrêtant, repartant au bout de la rue, revenant à toute vitesse, disant « action », puis « coupez », et tour à tour excité, chagriné puis souriant, heureux de la prise… ça va le faire. Et en effet, on peut être confiant : sans toujours rien dévoiler, on peut tout de même vous dire que le lieu choisi pour le tournage est extraordinaire, que les différents arts mobilisés par cette scène centrale du film forme, entre le mur de la prison et celui de l’école, sous le ciel ensoleillé, un formidable tableau vivant. Disons donc seulement que cela risque fort d’être sacrément beau.

17h – Retour au centre du quartier de Bamako-coura, chez la famille Coulibaly. Le festival des Praticables, ce ne sont pas uniquement des projets artistiques qui se répètent et se représentent, c’est un espace urbain transformé, magnifié. Et cette transformation se fait à partir des objets les plus usuels ou traditionnels, qui font partie du quotidien des gens d’ici. Cette année, c’est la moustiquaire qui sera exploitée et peinte en rouge pour figurer le rideau de scène théâtral, dont les avatars vont envahir la cité. Jean-Christophe Lanquetin, scénographe du festival, a besoin de beaucoup de moustiquaires. Alors aujourd’hui, c’est jour de troc au quartier, car Jean-Christophe a proposé d’échanger les vieilles moustiquaires des familles, dont il a besoin pour habiller de rideaux le festival, contre des neuves. Et le voilà au milieu des dames du quartier et des enfants pour la collecte… ça parle fort, ça rit, ça se chamaille, on se croirait devant un vaste étal du grand marché pour une promotion exceptionnelle, où chacun est là pour faire la bonne affaire. Et alors on a la vive impression que le festival, dont l’ambition première est de construire l’événement avec les habitants, au plus près des populations, et par là d’entraîner un mouvement collectif de participation joyeuse à la création, a véritablement démarré.

18h – On retrouve l’équipe de Francky Bellany dans leur appartement plus au nord, du côté du cinéma Babemba. Fama est là. On peut donc assister à la lecture de la pièce entière avec les trois acteurs, Francky, Fama et Aïssata. Moment de bonheur quand, en entendant la pièce, on l’imagine jouée devant le public au maquis. Car Francky a écrit un texte qui met en jeu le pub lui-même : un dialogue entre une jeune femme, une serveuse et un client autour des rapports homme-femme, des plaisirs et des malheurs de la vie. Et les conversations autour d’une bière deviennent aussitôt des situations férocement théâtrales, fortes et drôles, qui reflètent notre humanité. Le théâtre qui va en résulter, en mettant les acteurs au plus près des spectateurs, promet d’être aussi riche et convivial qu’une soirée au pub…

20h – Passage par le bureau des Praticables, au quartier du fleuve, où Lamine Diarra répète son seul en scène, La patience de l’araignée » (un texte qui lui a été offert par le grand auteur congolais Dieudonné Niangouna), devant Leyla Rabih, metteure en scène franco-syrienne en charge de l’accompagnement des artistes émergents. Lamine n’est pas que le directeur artistique des Praticables. C’est d’abord un acteur qui a un sens de l’adresse hors-norme. On entend la troisième et dernière partie du texte dense et complexe de Dieudonné, à la fois poétique et philosophique, et en même temps terriblement concret, en relation directe avec le monde d’aujourd’hui. Ici, Lamine est Moussa, immigré sans papier en butte à l’ordre administratif et policier. L’acteur s’amuse avec le texte tout en respectant chaque syllabe, il nous transmet son humour, il nous fait partager l’émotion de la tragédie et celle de l’espoir. Il joue avec nous. Il est libre. C’est de bon augure.

23 h – Soirée au Pub, justement, avec concert. L’équipe se retrouve, boit et danse avec les habitués. À un moment, on se retrouve avec Androa, quitté quelques heures plus tôt, au comptoir du bar. On parle de la vie d’artiste, de la nécessité radicale de questionner et de mettre en jeu notre rapport personnel au monde, celle qui a fait qu’on est un jour devenu écrivain ou acteur, performeur, peintre, musicien, plasticien, sculpteur… À un moment, Androa semble dire que « l’expression » (de soi) est pour lui une notion plus importante que la « représentation » (devant les autres) et qu’il peut très bien imaginer construire un spectacle pour lui-même, sans public. On n’est pas d’accord là-dessus. Cela ne nous empêche pas, quelques instants plus tard, de nous livrer sur la piste à une « battle » de danse, pleine d’ardeur et d’affection, avant que Matthieu, technicien lumière des Praticables, ne nous offre, avec les musiciens du groupe, un blues de haute volée, dont on ne sait s’il est issu des clubs de Chicago ou des montagnes manding. Des deux, évidemment.

À demain.

Pascal Collin


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