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F. Baba Keita : « Les manuscrits anciens, objet du nouveau trafic illicite »

dimanche 23 juillet 2017, par Assane Koné

Durant trois jours, l’Unesco a organisé à Dakar un forum sur le trafic d’objets du patrimoine. Directeurs de musée et officiers des douanes venus de toute la sous-région ont échangé et surtout partagé leurs difficultés à s’attaquer à ces trafics de manuscrits, des statues et autres masques qui sont en forte hausse. Fallo Baba Keita est Malien et spécialiste du patrimoine. Il s’intéresse notamment aux routes utilisées par les trafiquants.

Rfi : Fallo Baba Keita, quelle est l’ampleur aujourd’hui du trafic ?

Fallo Baba Keita : Le trafic illicite des biens culturels est en nette progression, d’après non seulement les informations que nous avons recueillies auprès des différents pays, mais également par un constat sur le terrain. Il y a beaucoup de facteurs qui favorisent ce trafic illicite.

Qu’est-ce qu’on trafique aujourd’hui en Afrique de l’Ouest ?

Un nouvel élément du patrimoine culturel qui apparaît sur le marché ce sont les manuscrits anciens. Avec la crise du Mali et surtout l’occupation des régions du nord, la bibliothèque du Centre Ahmed Baba à Tombouctou a été pillée. De ce fait, il y a [quelques] manuscrits qui sont partis dans le circuit du trafic illicite et qui aujourd’hui se vendent sur des marchés, notamment dans les environs limitrophes du Sahel et qui se retrouvent également sur les marchés dans les pays du Golfe et donc c’est un commerce très lucratif.

En dehors de ça, les objets archéologiques sont très, très prisés. On peut parler aussi des objets ethnographiques : les statuettes en bois du pays Dogon, les masques également, qui sont des objets de culte aussi. Ces objets aussi sont très prisés dans presque toute la sous-région.

Vous travaillez particulièrement sur les routes. Comment est-ce qu’on sort ? Comment est-ce que les trafiquants sortent tous ces objets ?

Il se trouve que ces objets sortent aujourd’hui principalement par les frontières, la voie terrestre. [Concernant] Le Sahel, aujourd’hui, on parle de la question du terrorisme,... des trafics de drogue, ... des trafics d’armes. Tout cela n’est pas étranger au trafic des biens culturels. Ce sont des interconnexions qui existent entre les différents trafics parce que ce sont les mêmes voies qui sont empruntées par les trafiquants.

Et donc les mêmes groupes qui organisent ces trafics ?

Que ce soit les armes, que ce soit la drogue, que ce soit même le trafic humain, c’est pour de l’argent. Et donc il y a une manne financière énorme qui est là au bout du trafic d’objets culturels. Et avec la situation que nous connaissons aujourd’hui dans le Sahel, la porosité des frontières, les remontées des jihadistes, de tous ces trafiquants qui sont en Syrie, tout cela laisse craindre encore une recrudescence. Et c’est pourquoi je dis que le phénomène est important parce qu’il y a peu de contrôles... Mais aussi à travers les aéroports. Ça reste encore des lieux de sortie importants d’objets vers des destinations, notamment l’Europe, les Etats-Unis, l’Asie – la Chine, par exemple – le Moyen-Orient. C’est un phénomène mondial et encore plus dans les régions du Sahel. C’est un problème qui va en s’aggravant.

Est-ce que vous avez l’impression que depuis quelques années ce respect pour ces objets est en train de disparaître, que les nouvelles générations préfèrent vendre plutôt que respecter la règle de la communauté ?

C’est vrai qu’il y a un déficit aujourd’hui de contacts entre les jeunes et leur culture du fait qu’il y a souvent un manque de références. Et ces jeunes aujourd’hui forcément ne sont pas en phase. Souvent ça va dans l’ordre des choses, mais je crois qu’il faudrait qu’il y ait tout un travail de sensibilisation et d’éducation dans ce sens-là, parce que ces jeunes aujourd’hui sont en complète rupture avec ces objets.

Il y a beaucoup de problèmes en Afrique de l’Ouest aujourd’hui. Est-ce que vous avez l’impression que ce trafic est la dernière préoccupation des Etats ?

Sur le plan politique il va falloir faire un plaidoyer très fort pour que les politiques s’en saisissent et puissent aussi apporter leur appui aux professionnels, qui déjà se battent fortement contre ce problème.

Notamment se pose un problème, c’est le problème des sanctions.

Il faudrait absolument criminaliser davantage. Il y a des dispositions juridiques qui protègent le patrimoine et qui dénoncent des sanctions. Maintenant c’est dans l’application que le problème se pose. Cette application doit être beaucoup plus effective. Et quand il y a un cas, il faudrait sanctionner. Et autre chose : les institutions en charge du patrimoine, on doit leur donner plus de moyens.

Vous venez de faire trois jours de séminaire avec des responsables de musée, des responsables des douanes. En les écoutants on les sent complètement démunis.

Oui, c’est pourquoi je dis qu’il faudrait plus de moyens. Ils ont besoin de personnel, de personnel formé et qualifié pour pouvoir fonctionner. Et ils ont besoin également de moyens logistiques. Mais souvent il y a vraiment un manque de moyens criants dans ces institutions, qui ont à la fois bien sûr tous les instruments dans leurs mains, mais qui n’arrivent pas à les appliquer. Tout simplement parce que les moyens manquent. Moyens humains et à la fois moyens financiers et matériels. Tant que les institutions du patrimoine ne sont pas performantes, si c’est un maillon faible de la chaîne, cela va être un gros trou justement où le trafic illicite va pouvoir prospérer. Il faut que chacun sache aujourd’hui que ce n’est pas seulement l’affaire des professionnels des musées, mais c’est l’affaire de tous – le trafic des biens culturels – et chacun doit s’investir dedans pour protéger parce que ce patrimoine est notre patrimoine. Et s’il disparaît je pense que c’est vraiment une partie de nous-mêmes qui disparaît.

Par Guillaume Thibault
RFI


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