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Espace d’interpellation démocratique : L’AMDH invite les départements à diligenter le traitement des dossiers des interpellateurs fondés afin d’éviter leur retour

mercredi 10 décembre 2014, par Assane Koné

« Convaincue que cet espace n’est et ne doit pas être une chambre d’enregistrement des plaintes des victimes et des promesses non suivies d’effets de la part des départements ministériels, l’AMDH tout en demandant aux citoyens de rester derrière la loi, invite les départements à diligenter le traitement des dossiers des interpellateurs fondés afin d’éviter le retour des dossiers ». La déclaration a été faite par Me Moctar Mariko, Président de l’AMDH, lors de la 19e Session de l’Espace d’interpellation Démocratique (EID), le 10 décembre 2014. Lisez sa contribution à la tribune de l’EID !

En ce jour historique et mémorable, permettez-moi, Monsieur le Président du jury, d’adresser aux illustres et distinguées personnalités composant le Jury et à vous-même les salutations chaleureuses et militantes de l’AMDH.
Cette session se tient sur fond de négociations politiques à Alger et dans un contexte marqué par des libérations politiques des auteurs et responsables présumés de violations graves de droits humains, la recrudescence de l’insécurité au nord due en grande partie au départ de Serval, les malversations financières que certains appellent « surfacturations »…

Monsieur le Président du Jury d’honneur,

L’AMDH demeure préoccupée par un certain nombre de faits qui risqueraient d’anéantir les efforts accomplis par le gouvernement, ses partenaires et la société civile, notamment dans le domaine de la lutte contre l’impunité. En juillet et août 2014, après que l’AMDH et la FIDH aient fait venir des victimes de Gao et de Tombouctou qui ont été entendues par les juges d’instruction en charge des dossiers des crimes commis au nord, les autorités maliennes ont procédé à des libérations des auteurs et responsables présumés de graves violations de droits humains sans qu’aucune enquêté n’ait été au préalable menée. Il s’agit notamment de Houka Houka, Mohamed Ag dit Mohamed Allah, Azbey Ag Baya ; ce dernier ayant été jugé par une session de la Cour d’assise de Bamako, et acquitté en juillet 2014, « faute de preuves suffisantes » alors qu’il avait reconnu les faits pendant l’instruction.

Monsieur le Président du Jury d’honneur

Nous sommes indignés de la libération de Wadossène et plusieurs autres criminels en échange d’un otage français à la veille de cette journée internationale des droits de l’Homme. Si c’est un succès pour la diplomatie française, cet acte constitue un cuisant échec dans la lutte contre l’impunité au Mali. Nous exigeons aux autorités maliennes d’éclairer l’opinion nationale sur les conditions d’échanges et arrêter ces criminels.

Faut-il sacrifier la lutte contre l’impunité au profit d’une paix et une réconciliation illusoires ?

En outre, avec une quarantaine d’organisations et institutions de défense de droits humains, nous avons organisé une marche pacifique le 11 septembre 2014 à l’issue de laquelle nous avons remis un mémorandum au ministre de la justice, des droits de l’Homme, garde des sceaux.

En dépit de certaines justifications données par le garde des Sceaux, l’AMDH demeure préoccupée par le règlement politique de la crise qui risquerait d’éclipser le besoin de justice. Nous attendons alors des engagements et actes concrets du gouvernement.

Monsieur le Président du Jury d’honneur

Nous ne voulons pas attendre 20 ou 50 ans comme à Nuremberg, au Cambodge ou ailleurs pour que les criminels soient jugés et que les victimes soient mises dans leurs droits. Les victimes ne veulent pas attendre la mort des bourreaux présumés ou la leur pour que justice soit rendue.
Pour toutes ces raisons, nous pensons qu’il faut agir maintenant ou jamais afin que nous puissions aller vers une véritable réconciliation nationale.

Nous voudrions rappeler que s’agissant des crimes commis au nord du Mali, l’AMDH et la FIDH accompagnent 14 victimes des crimes dans l’affaire Ministre public (MP) contre Houka Houka, 7 victimes dans l’affaire MP contre Aliou Mahamar Touré, 15 autres dans l’affaire MP contre Iyad Ag Agali, et tout récemment le 12 novembre 2014, en synergie avec des organisations sœurs comme WILDAF, AJM, DEME SO, Collectif Cri de Cœur, nous avons déposé une plainte avec constitution de parties civiles pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité devant le doyen des juges d’instruction du Tribunal de Première Instance de la Commune III au nom de 80 femmes et filles victimes de viols et d’autres formes de violences sexuelles commises au nord. En effet, la justice malienne doit ouvrir au plus vite une information judiciaire pour enquêter sur ces crimes.

Nos associations, de même que les avocats qui accompagnent les victimes, attendent que les autorités maliennes prennent leurs responsabilités et garantissent une justice effective. Cela peut passer par le renforcement des moyens existants des juges d’instruction actuellement saisis : possibilité de se rendre sur les lieux, joindre les procédures judiciaires existantes afin de donner leur pleine dimension aux crimes commis, élargir les charges aux violations des droits humains perpétrées, assurer la sécurité des juges et garantir l’aboutissement des procédures en cours.

Ces objectifs peuvent être aussi mis en œuvre à-travers la création d’un pôle spécialisé en matière de graves violations des droits humains notamment pour la poursuite et l’instruction des graves crimes commis dans le Nord du Mali depuis 2012 contrairement à un pôle antiterroriste incompétent pour instruire des violations des droits humains car les victimes de crimes sexuels, d’actes de torture, les proches des victimes de disparitions forcées ou d’exécutions extrajudiciaires n’ont pas vocation à témoigner devant des juges qui ont pour compétence d’instruire des infractions terroristes.

Monsieur le Président du Jury d’honneur

La prise en charge de ces recommandations serait un signal fort que l’engagement présidentiel de lutter contre l’impunité n’est pas un vœu pieux et que le règlement des crises et des rebellions au nord ne passe plus par l’impunité des acteurs armés. Ce serait un moyen efficace de créer les conditions de non répétition des crimes pour l’avenir.

Par ailleurs, l’AMDH et la FIDH ont organisé à Bamako, les 6 et 7 novembre 2014, un séminaire international sur la justice transitionnelle et la réconciliation nationale présidé par le Premier ministre à l’issue duquel les 230 participants ont adopté une feuille de route pour le processus de réconciliation au Mali qui rejette toute amnistie pour les crimes du passé.

Ils demandent également que la Commission vérité, justice et réconciliation (CVJR) soit composée de personnalités indépendantes et compétentes qui seront en mesure d’écouter les victimes de toutes les répressions et des graves violations des droits humains, recommander des mesures de réparations pour les victimes ainsi que des réformes profondes de l’État permettant la mise en place de garanties de non-répétition. Les participants ont également estimé que l’impunité ne doit plus prévaloir et la justice internationale et nationale doit faire son travail sans aucune interférence ou intervention politique. Alors que des négociations sont menées à Alger entre les groupes armés et le gouvernement malien, ces mesures devraient être acceptées par les parties et mises en œuvre par le gouvernement et la CVJR afin de contribuer à une paix réelle, durable et profitable aux populations maliennes.

Monsieur le Président du Jury d’honneur

Il y a également un besoin de vérité sur les crimes du passé et du présent. Cela apparaît fondamental au regard d’une histoire nationale aux lectures divergentes traversée par la violence d’État, les rebellions et les répressions qui ont donné lieu à la commission de graves violations des droits humains. Le traitement politique de ces violations a donné lieu à une impunité des auteurs de ces crimes, voire à leur promotion, engendrant à nouveau des violations et une instabilité récurrentes. La crise de 2012 marquée par une rébellion touareg, l’occupation du nord du pays par les groupes djihadistes et un coup d’État militaire est l’expression de cette mal gouvernance et de cette impunité.

Lutter contre l’impunité est une condition sine qua non de la réconciliation.

La consultation des représentants des différents secteurs de la société a conclu que la lutte contre l’impunité des auteurs de crimes les plus graves est une priorité de la justice transitionnelle et de la réconciliation nationale, qui ne doit pas être compromise par des amnisties ou des accords politiques.

Il convient en outre de garantir la non-répétition des crimes les plus graves. La mal gouvernance depuis 50 ans est une des causes des violations des droits humains et des conflits que connaît notre pays. Ce constat partagé nous a amené à réfléchir sur la 3e phase de l’action de la justice transitionnelle : les recommandations de la CVJR et la mise en œuvre de ses recommandations pour réformer l’État et la société de sorte à limiter les causes des conflits et des violations massives des droits humains.

Quant aux crimes commis au sud du pays, nous sommes parties civiles aux cotés des victimes des évènements du 30 avril 2012 et du 30 septembre 2013 dont les dossiers évoluent en dépit de la stagnation du premier au niveau du parquet.

Plusieurs autres plaintes ou violations de droits humains n’ont pas reçu de suite de la part des autorités judiciaires. Nous voudrions entre autres citer le dossier du sergent-chef Mohamed Ramadan porté disparu au camp de Kati en octobre 2012, le massacre de Doungara et d’autres crimes isolés dans le cercle de Tenenkou et les environs, les enlèvements, disparitions et exécutions dans la région de Tombouctou… Nous exhortons le gouvernement avec l’appui de la communauté internationale à faire la lumière sur les violations de droits humains perpétrées à Kidal le 17 mai 2014.

Monsieur le Président du Jury d’honneur

Concernant la situation de droits humains au quotidien, il convient de noter que la justice malienne est décriée à cause de certains comportements de certains magistrats : le cas de Fana en est une illustration de même qu’à Nara où le juge empêche tout un village (Tobatt) à accéder à l’eau potable en refusant le forage d’un puits qui devait permettre aux villageois d’étancher leur soif et abreuver leurs animaux en dépit de l’autorisation administrative du maire de la commune rurale de Guiré. Une demande d’audience avait été adressée au Ministre de la justice, des droits de l’Homme, garde des sceaux le 5 novembre 2014.

S’agissant de la mal gouvernance, notamment les surfacturations qui défraient la chronique, nous sommes heureux de savoir que la justice ait été saisie pour faire la lumière sur cette affaire afin de poursuivre les auteurs et responsables. Cependant, nous demandons à ce que l’action de la justice soit indépendante et impartiale.

En outre, nous voudrions exhorter les autorités à diligenter l’ouverture de l’instruction dans l’affaire « orpaillage de Kobada » dans le cercle de Kangaba afin d’établir les responsabilités et mettre les victimes dans leurs droits.
Dans le domaine de l’éducation nous demandons beaucoup plus de rigueur dans sa gestion notamment lors des évaluations scolaires afin de sauvegarder l’avenir de nos enfants.

Actualité oblige, l’entrée de la maladie à virus EBOLA par l’imam guinéen a été accueillie avec stupéfaction et indignation de bon nombre des maliens. Ainsi, tout en appréciant les efforts que le gouvernement accomplit pour stopper cette épidémie, l’AMDH demande une enquête indépendante et impartiale pour situer les responsabilités dans l’entrée de cette maladie à partir de la frontière et à la gestion du cas suspect par la polyclinique pasteur.

Monsieur le Président du Jury d’honneur

Convaincue que cet espace n’est et ne doit pas être une chambre d’enregistrement des plaintes des victimes et des promesses non suivies d’effets de la part des départements ministériels, l’AMDH tout en demandant aux citoyens de rester derrière la loi, invite les départements à diligenter le traitement des dossiers des interpellateurs fondés afin d’éviter le retour des dossiers.

Monsieur le Président du Jury

Sur les recommandations du jury d’honneur ou les engagements des Ministres lors de la session de 2013, force est de constater que peu ont fait l’objet de satisfactions en dépit du caractère fondé et légitime des interpellations. A titre d’illustration, nous voudrions citer le célèbre dossier de l’association pour le développement et la solidarité entre les habitants de la cité Mali Univers de Sotuba qui revient pour la 4e fois ou encore celui des riverains de la rue 493 de Kalaban Coro.

En somme, d’une manière générale, toutes les violations de droits humains soulevées par les différentes interpellations se résument en quelques mots : insuffisances dans l’exercice de l’autorité de l’Etat et de l’Etat de Droit.

Monsieur Premier Ministre, à quand une solution durable aux conflits fonciers ?

Je vous remercie de votre aimable attention !

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