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Tuwindi : la révolution civic-tech au service du développement

jeudi 17 novembre 2022, par Assane Koné

La fondation Tuwindi, depuis 2015, développe des solutions numériques pour « booster » la citoyenneté, l’émancipation des femmes, le contrôle démocratique, ou encore améliorer les performances dans des secteurs-clés comme l’agriculture et la santé. Une révolution malienne est en marche…

Jeudi 3 novembre, 10h du matin. Autour de la grande table de la salle de conférence lumineuse de la Fondation Tuwindi, une quinzaine de journalistes attentifs prennent des notes sur leur calepin ou leur ordinateur. Ils écoutent avec intérêt l’exposé du Dr Abdoulaye Sall, ancien ministre des relations avec les institutions du Mali et actuel président du Cri-2022. La conférence du jour s’intitule : « Avant-projet de la Constitution : la réforme de tous les espoirs ? ».

Assis à côté de l’orateur, un jeune homme discret et souriant jette un regard circulaire sur l’assemblée. C’est Oumar Ben Haidara, chargé des programmes de la Fondation Tuwindi, et l’un des organisateurs des tables rondes (Yetaw) sur les droits de l’homme, la démocratie ou le développement, organisées chaque mois par l’association. Une initiative dirigée vers les journalistes, mais qui n’est qu’une des multiples activités menées par Tuwindi.

A quoi ressemble une ONG high-tech pour le développement ?

Située non loin du cimetière de Bako Djicoroni ACI, cette ONG high-tech à but non lucratif est une véritable entreprise, tournée vers la performance. Ordinateurs dans chaque bureau, écrans plats au mur, nous sommes au cœur des nouvelles technologies. Mais c’est à l’étage, au bout du couloir, que se trouve sans doute l’espace le plus high-tech de tout le bâtiment : la salle des développeurs où s’activent avec passion, quatre jeunes ingénieurs informaticiens. Leur mission ? Créer et tester des applications de technologie civique (civic-tech) qui permettront à tout citoyen de participer à la construction de la vie économique et sociale du pays.

Aujourd’hui, la fondation compte 17 salariés permanents, dont un juriste, un comptable, des ingénieurs informaticiens, et un diplômé en langues qui parle aussi bien le français, l’anglais que le mandarin. En fonction des besoins, des projets et des sollicitations des partenaires pour le développement, l’équipe peut recruter, via des appels à candidatures, des contractuels occasionnels. Une jolie progression pour cette jeune structure qui n’a que 6 ans.

Oumar Ben Haidara, responsable des programmes et juriste de formation, se souvient : quand il a rejoint l’association créée par Tidiani Togola, ils n’étaient encore que trois. L’ambiance amicale et fraternelle qui régnait déjà au sein de la mini-équipe lui a tout de suite plu. « Cette culture d’entreprise est toujours d’actualité », sourit le trentenaire, en regardant les employés filer au travail. Il sait qu’il peut compter sur la détermination de son équipe, jeune, spécialisée, motivée, où chacun sait être à sa place.

« A Tuwindi, explique-t-il, on fonctionne en départements. Au sommet de l’organigramme, il y a le président fondateur Tidiani Togola, puis toutes les équipes qui s’occupent de la planification ou de la rédaction des rapports et des projets ; ensuite, il y a tous ceux qui sont au cœur même des projets et les réalisent : ici on traite de médias, de gouvernance, d’agriculture, ou encore de développement de solutions technologiques… »

Si Tuwindi a commencé par concevoir et gérer plusieurs projets de télésanté et participé – sous la direction de l’Agence nationale de télésanté et d’informatique médicale du Mali – à l’élaboration d’une politique nationale pour le développement de la cybersanté, actuellement l’un des sujets phares est la démocratie et l’appui à la transition, avec des partenaires nationaux et internationaux, comme le PNUD (Programme des Nations-Unies pour le développement).

Transi-géomètre : un outil pour la société civile

Oumar Ben Haidara précise : « nous travaillons avec les organisations de la société civile malienne qui ont pour objectif de monitorer la transition, afin de savoir ce qui est prévu, ce qui a été fait, ce qui est en cours et aussi ce qui n’a pas été fait. Pour cela, on a développé une plateforme appelée le transi-géomètre qui permettra de faire ce monitorage et d’afficher des résultats visibles sur la plateforme. Pour l’instant disons que c’est un début, nous avons développé la plateforme et sommes en échange permanent avec la société civile qui a mis en place un Comité de suivi de la transition. Celui-ci est composé des représentants d’associations faitières de la société civile ».

Une fois que la plateforme sera opérationnelle, le monitorage proprement dit pourra débuter. Selon notre interlocuteur, ce dispositif est crucial, car dans un pays où la redevabilité n’est pas tellement respectée, c’est à la société civile de disposer de cet outil.

Comment fonctionne alors cette approche civic-tech développée par Tuwindi ? Selon son responsable des programmes, il s’agit d’utiliser les technologies de l’information et de la communication pour appuyer la gouvernance, l’engagement citoyen et le développement des médias. De telles solutions peuvent concerner tous les domaines : par exemple, pour l’agriculture, Tuwindi, en septembre 2020, a développé REM, une plateforme web de l’agrobusiness. L’objectif est de soutenir les agriculteurs, en leur donnant des conseils sur les prévisions météo et de les mettre en relation avec les revendeurs.

Le Mali, à l’instar des autres pays, ne peut faire fi du numérique, insiste Ben Haidarah : « le numérique est un passage obligé pour un pays qui veut se développer. Le Mali est l’un des pays où le taux de pénétration de téléphonie mobile est quasiment de 100%. Ce qui veut dire que même nos mamans au village savent utiliser des solutions numériques comme Whatsapp ! Le pays est prêt pour cette évolution. » Ben en est convaincu : le numérique pourra accroître l’efficacité des actions dans beaucoup de domaines. C’est déjà le cas du monitorage des élections où l’outil développé permet d’avoir des résultats instantanés et d’offrir à la société civile la possibilité d’intervenir efficacement.

En pratique, les solutions web sont multiples : parmi la vingtaine d’applications mobiles déjà développées, on a KENEKANKO qui permet d’alerter sur des cas de corruption et de violation des droits de l’homme ; sur la plate-forme pour le monitorage des élections, on dispose aussi d’un outil dénommé XENZA mesurer » en soninké) ou encore l’outil dénommé MON ELU qui permet de mettre en contact les citoyens et leurs maires ou leurs députés, au niveau local et national. Citons encore WUYA, une plateforme de vérification de la véracité des informations et de lutte contre les infox ; et MEDIA SCAN qui collecte, analyse et évalue le traitement par les médias des grandes questions de société (comme celle du genre) et leur fréquence dans les médias. Toutes ces applications (et bien d’autres encore) sont accessibles sur le site de Tuwindi.

Des réticences à vaincre

La mise en place de ces outils n’a pas toujours été simple à faire. « Souvent les gens ont peur du numérique ou de l’innovation en général, explique Ben. Ils se disent qu’ils ne savent pas jusqu’où ça peut aller… Et certaines catégories de personnes, certaines autorités, peuvent ne pas être très ouvertes à cela… »

Malgré tout, Twindi avance. Avec une équipe de jeunes talents, le responsable des programmes estime qu’actuellement l’ONG enregistre un bilan positif qui développe des solutions maliennes à des problèmes maliens et contribue à créer des emplois directs et indirects. Et ce, grace à sa souplesse et sa réactivité.

Dans un domaine où les choses changent rapidement, Tuwindi cherche toujours à s’adapter aux besoins et à s’améliorer. Elle s’efforce ainsi d’accroitre les capacités de son équipe par un processus permanent de formation, avec pour défi majeur, de réussir à stabiliser le staff. Elle travaille aussi à s’élargir en variant ses outils : « Même si le numérique est au cœur de notre métier, nous avons des projets avec d’autres partenaires qui ne sont pas forcément liés au numérique ; ce sont par exemple certains projets sur la gouvernance, ou dans le domaine du genre et pour l’équité entre homme et femme… », précise Ben Haidara.

Une ouverture d’esprit qui est couronnée de succès, car, tout en restant bien ancrée au Mali, Tuwindi a aujourd’hui des représentations dans la sous-région, comme au Niger. Suite à un partenariat solide développé avec plusieurs organisations au niveau national et international, et grace aux activités menées dans plusieurs pays en tant qu’observateur des élections, Tuwindi est également présent au Sénégal, au Togo, ou au Bénin…

« Quand on a une passion, on arrive à réaliser de grandes choses, conclut Oumar Ben Haidara. Et ce n’est pas fini : notre structure est non seulement connue au Mali et dans la sous-région, mais elle commence également à l’être au-delà de l’Afrique. »

Bintou COULIBALY

Parcours d’un développeur de Tuwindi

L’aventure high-tech du jeune développeur Mohamed Lamine Komou, 25 ans, a commencé à l’université. En 2015, après des études scientifiques au lycée Taliby Sanogo de Boulkassobougou, le bachelier a suivi un cursus universitaire en math, physique-chimie et informatique à la faculté des sciences et techniques (FAST). Sa licence en poche, il a rejoint la fondation Tuwindi pour se consacrer à la programmation et au développement d’applications.

« En 2018, avant même de travailler chez Tuwindi, j’ai reçu une bourse de Wave pour partir deux semaines en Chine suivre une formation accélérée en réseau G5 et intelligence artificielle. Et c’est à mon retour, en 2019, que j’ai participé à un ‘’hackathon’’ organisé par Tuwindi en partenariat avec le MJP (Mali Justice Project). Ce marathon de programmation concernait le développement d’une application mobile de lutte contre les tracasseries routières. Il y avait au total 5 équipes, mais la nôtre est arrivée deuxième. Après le concours, Tuwindi m’a appelé pour me proposer de faire un stage de 3 mois. Là, j’ai travaillé sur un projet qui existait déjà chez Tuwindi mais que j’ai développé. Il s’appelle ‘’Mon élu’’ et met en relation les élus et les citoyens. A cette occasion, nous avons mené des missions à Kayes, Yélimané, Nioro, pour expliquer le projet. Et à la suite de ces trois mois de stage, j’ai été embauché par la fondation.

Tuwindi est ma première structure en tant que professionnel.Avant cela, j’avais seulement participé à quelques projets peu rémunérés avec l’une de nos anciennes professeures d’université, mais aujourd’hui, je suis responsable du département Recherches et Innovations et je continue à développer des projets », se réjouit Mohamed Lamine Komou.

Des WhatsApp ou Facebook “made in Mali”

Pour l’informaticien, ce domaine du développement des applications, de la digitalisation, et de l’informatisation des flux d’information, est passionnant. « Je suis motivé parce qu’à Tuwindi, chacun est convaincu que les nouvelles technologies peuvent servir à tout le monde. En plus, c’est le métier de la dernière génération et ici on travaille en équipe ». Chacun des membres peut ainsi exposer ses expériences et les compléter avec celles d’autrui, dans un climat où les gens se respectent et où l’environnement est positif.

L’essentiel, c’est de toujours aller de l’avant. A entendre Mohamed, quand on est développeur, ce qui est mauvais, c’est de rester trop longtemps sans innover car tout projet peut vite devenir obsolète. Il faut donc être dynamique. « Ce qui fait la particularité de Tuwindi, c’est que dès qu’on termine un projet, on en entame un autre, il n’y a pas de repos. Donc, on apprend sans cesse, on se met à jour en permanence au niveau des compétences. » Et on continue à se former et à regarder vers l’avenir.

Bien conscient que le pays traverse des difficultés économiques qui poussent à mettre de côté certaines priorités, le jeune ingénieur pense qu’on peut faire de grandes choses, malgré les nombreux obstacles.

« Moi, plus tard, je compte créer ma propre entreprise, confie-t-il. Cela fait partie de mes grands désirs. En tant que chef d’entreprise, je recruterai des développeurs pour lancer des applications innovantes pouvant entrer en concurrence avec n’importe quelle autre application internationale.

Pour lui, les compétences sont là, au Mali. Il suffit juste d’avoir un appui financier et d’inciter les jeunes à mettre leurs expériences en jeu. « A l’avenir, je souhaite faire partie des gens qui créeront une grande structure à l’image de la ‘’Silicon Valley’’ des États-Unis, pour concevoir des WhatsApp, Facebook… mais made in Mali ! »

B. C.

Tidiani Togola : Parcours d’un pionnier

Depuis 2015, Tidiani Togola est fortement engagé dans le développement de solutions civic-tech visant à renforcer l’engagement civique, la responsabilité des dirigeants et le développement des médias en Afrique, à travers son ONG, la Fondation Tuwindi.

Pionnier dans l’utilisation des technologies numériques pour renforcer le développement, la démocratie, la gouvernance en Afrique, M. Togola a conçu et géré de 2008 à 2013, en tant que directeur technique, plusieurs projets de télésanté. Il a développé une application web qui permet une surveillance impartiale des élections au Mali, ainsi qu’une méthode SMS qui permet une observation en temps réel des résultats. Il a développé la plateforme Open-ESR-Conqueror pour l’observation électorale. Il a également mené une recherche sur le potentiel des technologies de l’information et de la communication pour faciliter la pratique de l’observation électorale en Afrique de l’Ouest francophone, au sein de la National Endowment for Democracy, ayant bénéficié d’une bourse Reagan Fanscell. L’objectif était de développer une plateforme web open-source personnalisable, pour une utilisation dans l’observation électorale non partisane. Il a été impliqué, en tant qu’expert en TIC (Technologie de l’information et de la communication) pour les élections dans plusieurs pays : Mali, mais aussi Côte d’Ivoire, Bénin, Burkina Faso, Guinée, Sénégal et à Madagascar.
B.C.

Veille citoyenne : le projet

Le mercredi 20 juillet 2022 à la Maison de la presse de Bamako se tenait le lancement du projet de veille citoyenne par les organisations la société civile * : il s’agit, sur la base d’outils spécifiques, d’assurer une veille citoyenne « inclusive et étendue » sur l’ensemble du territoire malien.

Pour ce faire un document de « Positionnement harmonisé de la société civile pour la refondation de l’État et une Transition réussie au Mali » a été lancé par les organisations de la société civile (OSC). Quant à Tuwindi, son apport consiste en un Transitomètre, conçu par la Fondation.

Pour ce faire, Tuwindi met en place un baromètre de la transition appelé « Xensa », qui permettra d’accéder aux documents clés de la transition et aux informations qualitatives et quantitatives quant à la mise en œuvre du Plan d’Action Gouvernemental, du respect de la charte de la transition et des engagements communautaires en lien avec la transition. Le projet est soutenu par l’Union européenne et le PNUD.

* Conseil National de la Société Civile du Mali (CNSC), Forum des Organisations de la Société Civile (FOSC), Coordination des Associations et ONGs Féminines (CAFO), Conseil National de la Jeunesse du Mali (CNJ) et Plateforme des Femmes-leaders du Mali (PPFLM), en partenariat avec la Fondation Tuwindi.


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