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Salif Traoré, réalisateur, secrétaire général de l’Union nationale des cinéastes du Mali : « Il faut une volonté politique pour donner un nouveau souffle au cinéma malien »
mercredi 13 mai 2015, par
Le cinéma malien est à la croisée des chemins. Après une période de gloire, celui-ci est aujourd’hui méconnaissable. Dans cette interview, Salif Traoré, secrétaire général de l’UNCM, dénonce certains maux du cinéma malien. Il invite les autorités politiques du pays à trouver des solutions au problème de financement, à l’absence de salles de cinéma et de structures de formation.
Notre Culture : Quelle analyse faites-vous de la participation du Mali au FESPACO 2015 ?
Salif Traoré : Nous avons cru que nous étions bien préparés pour aller à Ouagadougou. Mais, ça été tout à fait le contraire. Nous y sommes allés avec des films pour lesquels on espérait avoir une bonne évaluation. Mais, le contraire nous laisse penser qu’on n’était pas suffisamment préparé. Le Niveau du festival était élevé cette année. Le film qui a remporté l’étalon est d’un très haut niveau. Cela fait trois éditions de suite que le Maghreb nous amène des films de qualité, et il retourne souvent sans rien. Il y a nettement une différence entre les films de l’Afrique du nord et ceux de l’Afrique au sud du Sahara. Il considère le cinéma comme une véritable industrie. Le Mali n’était pas bien outillé pour cette édition. Ce n’est pas de gaité de cœur que nous le disons. On n’a pas pu insuffler à notre cinéma toute la synergie qu’il fallait.
Pourquoi pensez-vous que le Mali n’était pas bien outillé pour cette édition ?
Je suis allé de surprises en surprises, en voyant certains de nos films. Si le scénario ne faisait pas défaut, c’est le jeu des acteurs qui n’était pas bon. Je pense que la solidarité a fait défaut dans la réalisation des films maliens. Nous avons découvert la plupart des films à Ouagadougou. C’est pour cela que je suis convaincu que Ouaga 2015 a été une leçon pour nous. Et, je dis que le FESPACO 2017 se prépare dès la clôture du FESPACO 2015. Cela se fait par la solidarité. Il faut arriver à réunir les compétences. Par exemple, faire lire ou faire écrire les scénarii par ceux qui sont plus outillés. La solidarité doit se tisser dès maintenant. Face aux difficultés, il faut que les réalisateurs maliens s’épaulent pour faire des films de qualité.
Quelle explication donnez-vous au fait que le niveau du cinéma malien soit en chute libre ?
A part nos ainés, la plupart des acteurs qui arrivent dans le secteur du cinéma ont été formés sur le tas. Il y a un problème de formation afin que les acteurs maîtrisent les règles élémentaires des métiers du cinéma. Il y a une technique pour faire des films et cela s’apprend.
A qui la faute ?
L’Etat a arrêté de donner des bourses pour le cinéma. Aujourd’hui, il suffit de faire un tour au Centre national de la production cinématographique du Mali pour se rendre compte de la menace qui pèse sur le cinéma malien. La plupart des cadres qui y travaillent sont à la porte de la retraite. Et comment combler le vide qu’ils vont laisser dans un ou deux ans ?
A votre avis, quels sont les problèmes du cinéma malien ?
Pour moi, le principal problème du cinéma malien est un problème de formation. Pour raconter une histoire ou pour se servir d’une caméra, il y a toute une technique. L’Etat a arrêté de former et aujourd’hui, cela est en passe de tirer le cinéma malien dans les ravins. D’aucuns diront que le cinéma malien souffre du manque d’argent. Mais, je dis que même avec l’argent aujourd’hui, il n’est pas évident d’avoir de très bons films. Il faut rapidement trouver une solution à la formation des acteurs du cinéma malien.
En posant le problème en ces termes, d’autres diront que le fonds d’appui à la production cinématographique tant sollicité par les cinéastes, n’a pas sa raison d’être. Qu’en dites-vous ?
Le fonds est nécessaire pour que le cinéma malien existe. Il permettra aux cinéastes déjà confirmés de faire des films. Mais, quand je parle de formation, c’est pour la génération future, la relève, les jeunes.
Pourquoi ce fonds est-t-il nécessaire ?
Le fonds aidera à restaurer tous les métiers liés à la production cinématographique : production et distribution. Cela implique l’ouverture de salles de cinéma dignes de nom, pouvant être des espaces où tout le monde pourra s’exprimer. Ce fonds va aussi soutenir des structures qui vont s’engager dans la formation des jeunes.
Quel est le montant de la somme que vous souhaitiez pour le Fonds ?
Nous voulons 3 milliards de FCFA pour un départ. Mais, après trois ans, nous espérons avoir 5 milliards de FCFA pour 5 ans. Au fait, après une première évaluation au bout de trois ans, nous comptons solliciter l’Etat pour 2 autres milliards de FCFA, pour deux ans. Après les cinq ans, nous pensons que le fonds pourra se prendre en charge. Il pourra convenablement financer les activités du cinéma malien. Ce fonds ne vise pas à distribuer de l’argent gratuitement aux cinéastes. Les projets seront étudiés. La faisabilité et la rentabilité seront des éléments importants pour faire des avances sur recettes. Mais, un système de subvention sera prévu pour des projets d’intérêt national.
En 2015, au moment où le Burkina Faso était à une trentaine de films produits, toutes catégories confondues, comment expliquez-vous le fait que le Mali peine à faire cinq films ?
C’est parce que au Mali, les réalisateurs sont bloqués par le manque de financement. Il faut une volonté politique pour régler le problème. Au Burkina Faso, il y a encore des salles de cinéma, mais au Mali, il n’y a n’en pas. Si on avait un embryon de salles au Mali, il n’y a aucun doute, des entrepreneurs se seraient aventurés dans le secteur du cinéma. Au Mali, on manque d’espaces de diffusion. La télévision malienne ne paye aucune production malienne, or elle pourrait même être partenaire dans la production. Contrairement au Nigeria, nous n’avons pas pour le moment un marché. Au Mali la seule télévision nationale ne paye pas de production nationale et ne participe par à la production. Ajouter à cela, la piraterie. Aucun réalisateur malien ne peut aujourd’hui exploiter son film.
Quelles sont vos propositions concrètes ?
Il faut rapidement une volonté politique pour résoudre le problème des salles de cinéma, car il faut des espaces de diffusion. Il est temps que le cinéma malien aille à la conquête de son marché. Il faut rapidement la mise en place d’une politique volontariste qui aiderait les producteurs à se faire un marché. Il faut que les autorités maliennes comprennent que la réouverture des salles est une nécessité absolue.
Assane Koné