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Exposition de Khaled Abida : Des chrono-lignes sur la ligne du temps

samedi 12 décembre 2020, par Assane Koné

Comme un arrêt sur le temps, un arrêt sur des lignes d’horizon qui errent ici et là à travers des espaces picturaux et dans des lieux différents. Elles se placent et se déplacent comme des lignes de lumière issues d’une expérience particulière qui ouvre une voie qui voit une itinérance de l’œuvre et une errance dans l’œuvre. À travers cette « itin’errance », le temps se consume doucement quand nous percevons cette exposition nomade réalisée par l’artiste tunisien Khaled Abida à travers laquelle il s’interroge et interroge la place des Arts Plastiques en Tunisie. C’est dans le cadre de la première exposition de « La ligne nomade (1) » présentée en 2019 entre Sidi Bou Saïd et Sidi Bouzid, en passant par Gafsa que cet artiste plasticien a exposé l’ensemble de ses travaux en marquant le début de son aventure personnelle.

Khaled Abida compose, recompose, voyage et donne à voir un univers pictural mettant en exergue la ligne non seulement comme un choix graphique et plastique, mais aussi comme une ligne qui empêche la réalisation temporelle proprement dite. Un voyage qui immobilise le temps car on l’entend de ligne en ligne où se justifie si l’on veut cette « itin’errance » révélatrice d’un monde pictural ouvert à la communauté à travers ce voyage d’un lieu vers un autre lieu. Lors de cette première ligne nomade, l’artiste a découvert l’absence des espaces qui sont consacrés aux expositions d’Arts Plastiques. D’où, il a choisi les instituts supérieurs d’Arts et Métiers comme lieux d’accueils pour exposer ses travaux qui sont fréquentés par certains étudiants.Dans quelle mesure l’expérience du voyage et de l’exposition itinérante sont nécessaires pour l’accomplissement de l’Autre ? Comment une certaine identité plastique s’étend dans un rapport à l’autre pour vivre dans l’ ici-maintenant ?

Chacun son chemin, chacun sa destinée, Khaled Abida a choisi le nomadisme comme une projection vers une vie mouvante, afin de faire participer les étudiants à son expérience. Il dit « je reviens avec « la ligne nomade (2) » aujourd’hui en choisissant le nomadisme une unité de mesure des distances parcourues dans ma poursuite du « sens » qui est en perpétuelle fuite ». Cette ligne nomade (2) est présentée à la galerie Alain Nadaud à Gammarth du 21 novembre au 12 décembre 2020. Ainsi, la complémentarité entre ces deux lignes nomades qui circulent sur la ligne du temps reflète la démarche de l’artiste qui cherche un « sens » dans son expérience plastique spécifique. Un sens issu d’une démarche de recherche et d’imagination, de création et « d’action critique de nature plastique ».

Rapporter le temps à l’espace, le présent à la présence de l’artiste justifie ses deux expériences qui sont axées sur la critique. La nature de cette action critique se justifie non seulement par son esprit nomade, mais aussi par l’ensemble des interrogations qu’il a posé à travers ses travaux erratiques. Khaled Abida s’interroge d’une manière implicite sur la notion de l’individualité dans le processus de la production de l’œuvre, afin d’interroger d’une manière explicite cette individualité qui tient compte du caractère social lors de la réception de cette œuvre. Ainsi, l’importance de cette exposition nomade consiste à créer un débat intellectuel et un échange critique avec les étudiants d’arts plastiques.

Un rapport étroit qui s’établit entre le choix des instituts supérieurs comme espaces d’expositions et le choix des exercices académiques et les recherches plastiques comme supports de son exposition. Des portraits, des auto-portraits, des natures mortes, des personnages tunisiens, des machines et des abstractions linéaires sont des compositions qui s’ouvrent sur l’ellipse temporelle, afin d’achever cette trajectoire circulaire. Ces travaux plastiques ont une véritable histoire qui progresse suivant des temps de mémoires, afin de récupérer les divers souvenirs sous l’axe du temps. Ils sont caractérisés par une variété de recherches plastiques pour retravailler en profondeur la peinture sur toile en utilisant une technique mixte. Des préférences chromatiques, des structures symboliques, des tensions lyriques s’accumulent sur la surface picturale et dans l’interphase temporelle en mettant en exergue une certaine action ludique issue d’une arabesque dénommée « Rakch » chez les arabes.

Khaled Abida plonge dans les opacités du monde dans et par ses travaux plastiques qui ont un rôle symbolique. Par le biais de l’abstraction, un langage imaginaire s’élabore pour la quête d’une identité plastique qui se concentre désormais sur le parcours de l’artiste. Des lignes, des signes, des formes et des images qui circulent dans ce monde pictural et errent sur la ligne du temps. En ce sens, l’artiste commence à donner sens à son exposition en suivant un parcours circulaire et en affirmant que « l’alpha rejoint l’oméga ». Ligne après cercle, le choix de ce mouvement tend vers une temporalité originaire. L’un des « sens » de cette expérience plastique consiste à montrer que cette exposition nomade ouvre par la tension qu’elle crée en liaison et en séparation, une temporalité nouvelle. Dans quelle mesure l’itinérance ouvre un autre horizon temporel dont le parcours de l’artiste nous permet de saisir une certaine temporalité créatrice ? Cette temporalité illustre par ce cercle la mémoire du passé et l’espérance du futur. Ces deux dynamiques tendent à ramener la ligne d’horizon du temps au foyer de l’instant présent.

On retrouve les variations rythmiques des lignes et leur évolution dans le temps au cœur de cette exposition nomade qui s’écoule et marche. Et c’est cet écoulement qui lui donne l’unité et l’identité. Or, s’écouler ne signifie pas seulement passer, aller vers quelque chose. Il me semble de définir cette temporalité comme un évènement poétique/itinérant où le temps se forme, se défait et se reforme dans une tension incessante de l’immuable et du mouvant. Lors de cette exposition itinérante, le mouvement circulaire perturbe la linéarité du temps par des retours sur lui-même. Il s’agit d’une temporalité originaire qui résulte des différentes temporalités hétérogènes selon le processus de la réalisation de l’exposition et le parcours de l’artiste. La « ligne nomade (1) » et la « ligne nomade (2) » sont qualifiées, me semble-t-il, comme des « chrono-lignes » où le préfixe chrono indique le processus temporel impliqué dans la trajectoire circulaire choisie par l’artiste. Ces « chrono-lignes » s’opèrent à travers le jeu des différentes temporalités. Elles se concentrent sur l’étude des lignes du temps et dans le temps, afin de circuler dans le présent.Ainsi, ce jeu du temps n’est-il pas celui du chrono qui rend homogène cette unité temporelle en s’inscrivant par et dans le présent ? Comme l’écrit Deleuze, en précisant les caractéristiques du chrono « seul le présent existe dans le temps, et rassemble, résorbe le passé et le futur ». Ainsi, la question du temps dans l’exposition itinérante de Khaled Abida relève du caractère typique du processus et du parcours même. Prendre le temps de travailler, de s’arrêter, de retravailler encore semble ici soumis aux divers souvenirs et à la tension du devenir, d’une transformation et d’un dénouement qui ne regardent que cette expérience de l’itinérance. Cette expérience de l’artiste plasticien khaled Abida révèle ce qui se passe dans la scène plastique tunisienne actuelle. Ainsi, réflexion sur le temps, l’action et la circulation, ce voyage des lignes d’horizon crée une relation qui se trame pour devenir une totalité ayant une force pratique sans arrêt. L’itinérance serait ici le jeu, à chaque fois recommencé de ces différentes strates temporelles en attestant une présence toujours du présent et dans le présent.

Ikram Ben Brahim

Critique d’art, Théoricienne de l’art, Artiste plasticienne, Enseignante universitaire, Docteur en Science et Techniques des Arts, Chercheuse en esthétique et histoire des Arts Plastiques, Chef d’équipe « Plein’Art ».


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