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Yambo Ouloguem, Au-delà du devoir de violence
mardi 31 octobre 2017, par
Yambo n’est pas venu mourir à Mopti. Il y est venu vivre sa mort, dans la parfaite symbiose d’un homme entier, d’un grand courage et d’une grande détermination et surtout d’une grande témérité.
Un simple communiqué radiodiffusé a suffi ; comme il est de coutume dans notre pays : Yambo Ouologuem est mort à 77 ans, à Mopti.
Là se déroule sous nos yeux éberlués, la vie d’un illustre juste qui, après le firmament de Paris, où il a eu tous les honneurs littéraires, est venu se reconstruire auprès des siens dans le pays dogon.
Se reconstruire ? Oui. Après le lynchage, au propre et au figuré, sans commune mesure, dont il a été victime, pour avoir été justement d’une grande honnêteté, en signalant les emprunts effectués chez d’autres talents reconnus, Yambo a été accusé d’être un plagiaire.
Quid de la responsabilité de l’éditeur, qui pour cette faute professionnelle d’une rare légèreté s’en tire à bon compte en retirant tout simplement l’œuvre titanesque de Yambo des rayons et même de tous ses registres de publication. Pour « Le Seuil », Yambo, même auréolé de majestueux Renaudot, le premier décerné à écrivain africain, a cessé tout simplement d’existé.
Oui, et alors même que sa maîtrise historique et sa verve littéraire n’ont jamais pu être égalées, Yambo a été fusillé les yeux ouverts.
Et le premier des canonniers n’était autre qu’un tirailleur d’Afrique, un certain Léopold Sédar Senghor, ce troubadour du Sénégal qui a eu tous les honneurs académiques, sauf celui de franchir le seuil de la célèbre Ecole Normale Supérieure de Paris. Ce que Aimé Césaire, le martiniquais a réussi brillamment. Ce que réussira aussi Yambo.
Senghor a donné le la et d’autorité il a contribué à étouffer une voix dont le style plein de morsure et de délicatesse n’était redevable qu’à Pouchkine dans la trame. Pouchkine a rendu lisible « l’âme russe » ; Yambo a mis au jour notre essentialité. Il tient aussi de Rimbaud, son outrecuidance et la finesse de l’esprit.
Le crime de Yambo ? Avoir osé dire que la traite des esclaves a plusieurs acteurs dont les arabes bien avant les occidentaux. Dans cette description, il pointait le doigt sur la responsabilité des rois africains et de leurs supplétifs.
Et contrairement aux chantres d’une Afrique-bon-enfant, d’une négritude débonnaire et momifiée,Yambo remet au jour la violence infernale qui a caractérisé l’Afrique de son récit sous l’époque des Saifs et dans cette partie qui s’appelle le Nakem dont on peut aisément deviner qu’il s’agit du Kanem.
Et ce devoir de mémoire est devenu pour l’auteur un devoir de violence, à tous les coups. Il s’en suivit une violence telle que Yambo n’eut d’autre choix que de renoncer à tout pour venir retrouver la quiétude auprès de sa famille.
Perdu pour l’occident et perdu pour la littérature, on le disait fou ; même s’il n’était fou que de sa trop grande compréhension de l’incurie humaine dont le racisme.
Et que dire de cet enfant prodige vilipendé par les autres et dont les autorités maliennes ont toujours eu une approche pudique !
Car dans les rues de Sévaré, Yambo n’a jamais mené une vie d’ermite ; il a été tout le temps d’une grande accessibilité, d’une grande altérité, d’un grand partage. Ceux qui ont eu l’opportunité de le rencontrer ont pu mesurer la profondeur de son esprit, l’étendue de son érudition, sa trop grande maîtrise de la langue française et la phosphorescence de ses propos.
Son malheur ? Avoir cassé les codes en tournant le dos à la langue française, pour ne parler que les langues du milieu et l’arabe. C’est là, qu’il a re-trouvé Dieu. C’est là qu’il a re-trouvé le verbe. C’est là qu’il a re-trouvé son humanité tout court.
Voilà pourquoi, le sage dans la culture du soudan ne meurt pas. Voilà pourquoi les esprits continuent de nous guider ; voilà pourquoi l’africain et l’hindou se retrouvent dans la métempsychose.
Rendre hommage à Yambo est aussi un douloureux devoir, pour lui et pour notre mémoire collective ; car en ses temps où l’on recherche l’excellence, Yambo en était un.
Rendre hommage, à Yambo, c’est retrouver ses condisciples et leur donner la force du témoignage sur le parcours de ce héros.
Comment est-il parvenu à s’arracher de l’enfer occidental pour se retrouver dans le pays dogon ?
Comment a-t-il pu tourner le dos à la famille qu’il avait fondée en France pour venir se retrouver dans son cocon paternel ?
Yambo, du haut du pays des hogons, tu es resté digne !
Yambo, dans la vallée des savoirs immenses, tu es resté un érudit
Hourra pour toi.
Ibrahima Maïga
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