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« QUEL MALI APRÈS LES ÉLECTIONS DE JUILLET 2013 ? »

dimanche 17 mars 2013, par Assane Koné

(Conférence prononcée à la Maison de la Presse à l’occasion du 24 anniversaire du journal « Les Échos »).

Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale,
Monsieur le Directeur Général des Éditions Jamana,
Monsieur le Directeur de publication de « Les Échos »,
Mesdames et Messieurs,

Avant de répondre à votre question, en ces heures où de gros nuages planent sur le droit d’expression, permettez de rendre hommage aux pionniers de la liberté d’expression qui ont fondé votre journal, il y a 24 ans. Vous ne m’en voudrez pas, d’évoquer la mémoire de mon camarade Abdoul Karim Camara dit Cabral, mort sous la torture au camp des parachutistes de Djikoronin, le 17 mars 1980. C’est d’ailleurs à l’occasion du 9è anniversaire de la mort de Cabral que les promoteurs de Jamana ont lancé le journal « Les Échos ». J’associe à cet hommage tous les combattants de la liberté et les martyrs de la longue lutte de notre peuple pour la justice et la démocratie. J’invoque la mémoire de tous ceux qui sont morts dans les cachots de la dictature, de toux ceux qui ont péri dans des conditions infra-humaines au camp de la mort de Taoudenit. C’est aussi le lieu de rappeler les sacrifices de tous les patriotes et de tous les démocrates victimes de tortures et injustement jetés en prison pendant les années noires que nous souhaitons à jamais révolues.

En ces temps incertains où l’Histoire bégaie, parler de la longue lutte de notre peuple irrite beaucoup dans des milieux bien pensants. Comme parler de résistance au coup d’Etat énerve les pro-putsch et tous qui ont fricoté avec le coup d’Etat du 22 mars 2012 qui a précipité notre pays dans le gouffre du fond duquel il peine à sortir.

Pour en venir à votre question, objet de cette conférence, ma réponse est la suivante :

Au vu du tremblement de terre que nous avons connu en 2012 ( rébellion, effondrement de l’armée, coup d’Etat, effondrement de l’État, occupation des 3/4 du territoire national), le prochain président de la République, quel qu’il soit, doit se concevoir et doit être perçu comme un Président de Transition qui doit inaugurer un quinquennat de réformes après avoir tiré les leçons, toutes les leçons des crises que le Mali a connues.

Fort de la légitimité conférée par le suffrage populaire, le futur Président devra :

1- organiser des États Généraux de la Nation au cours desquels les forces vives du pays débattront des causes profondes de l’effondrement du Mali : pourquoi sommes-nous tombés ainsi ? Où étaient l’Assemblée Nationale et les autres Institutions ? Qu’ont-elles fait pour éviter qu’on en arrive là ? Que faisaient les contre-pouvoirs ? Où étaient les partis politiques et la société civile ? Les institutions, les partis politiques, la société civile ont-ils joué leur rôle quand AQMI s’installait au Teghar-ghar, dans le Timetrine, se promenait sur les rives du Faguibine ou bivouaquait dans la forêt du Wagadu ? Qui a dit quoi quand le narco-trafic prenait l’Etat en otage ? Qui a demandé des explications au Président et au Gouvernement quand, un matin de novembre 2009, un Boeing calciné à été découvert dans le désert à Tarkint ? Qu’avons-nous fait quand la morale publique était en danger et que la corruption se répandait ? Etc..... Sans réponses appropriées à ces graves questions, comment pouvons-nous poser les fondations du renouveau démocratique ?

2- Faire la paix au Nord en scellant un nouveau Pacte national de paix et de réconciliation qui devra être adopté par des assisses nationales après la tenue de rencontres inter-communautaires et l’organisation d’un congrès pour la paix et l’unité auquel participeront les représentants de toutes les communautés du Nord et ceux des groupes armés maliens qui accepteront de renoncer à la violence et réaffirmeront leur adhésion aux principes d’un Mali un et indivisible, démocratique et républicain. Redonner un nouveau souffle à la Décentralisation par l’élection des gouverneurs de régions et un transfert effectif de ressources et de compétences. Ce nouveau Pacte consacrera notre commune volonté de vivre ensemble et de maintenir ensemble notre vieux pays dans le respect de toutes ses communautés. Il y a urgence à engager un processus politique car ni Serval ni la MISMA ni la future opération de stabilisation de l’ONU ne suffiront à restaurer une paix durable au Nord.

3- Re-fonder une nouvelle armée nationale professionnelle, républicaine, bien formée, bien équipée et dont les membres observeront scrupuleusement le principe républicain de soumission du militaire au pouvoir politique civil.

Professionnaliser la Police, la Gendarmerie et les Services et les adapter aux exigences des temps modernes.

  Mettre en place une Constituante pour re-fonder la république malienne en rédigeant la Constitution de la 4è République, plus démocratique, plus solidaire, plus sociale et plus juste. En tirant les leçons des dysfonctionnements des institutions, des dérives autocratiques constatées depuis l’avènement de la démocratie et en particulier la personnalisation du pouvoir qui a causé tant de ravages, le projet de constitution de la IVe République veillera à réduire le nombre d’institutions, à les rationaliser et à les renforcer.
 
  Réformer l’Administration, la moderniser et la motiver en réhabilitant et en revalorisant le mérite.
 
  Réformer la justice, la moderniser, renforcer son indépendance afin qu’elle protège les droits du citoyen et lutte efficacement contre la corruption et le narco-trafic.

De mon point de vue, le prochain quinquennat sera un quinquennat de Transition, de réformes qui mobiliseront la Nation tout entière déterminée à tourner la page de l’année horribilis 2012.

Pour qu’il ait un nouveau Président et un nouveau quinquennat de réformes tant souhaitées, il faut qu’il ait des élections. Or à 112 jours de la date annoncée pour le 1er tour il y a plus de questions que de certitudes sur la tenue du scrutin, le 7 juillet 2013.

Le vote aura lieu sur la base de quel fichier électoral ? Où voteraient les réfugiés et les déplacés internes ? Dans leurs résidences originelles ou sur les sites actuels ? Quid de l’Administration ? Quand sera-t-elle déployée dans les régions libérées ? Existe t- il un dialogue avec la classe politique sur ces questions ?

La caractéristique principale de la Transition actuelle est la cohabitation entre la Constitution et le coup d’Etat. En observant les événements des dernières semaines, on ne peut que faire le constat que le coup d’Etat, loin d’être rėsorbé est en train de prendre le dessus sur la Constitution. Cette réalité, source de confusion et d’immobilisme, entrave l’action des pouvoirs publics ternit considérablement l’image du pays au moment nous sommes l’objet d’une attention internationale accrue.

Les interpellations de parlementaires, d’hommes et de femmes politiques, la détention illégale du journaliste Boukari Daou ont fait de la Sécurité d’Etat un immense commissariat de police politique détourné des missions fondamentales d’un service qui doit plutôt veiller sur la sécurité du pays.

On aurait aimé voir la Sécurité d’Etat montrer le même zèle au moment de l’attaque contre le Président en mai de l’année dernière. A t- elle vu venir cette agression ? Combien de personnes ont été interpellées ou détenues à la Sécurité d’État pour cause d’agression du Président ?

A t- elle seulement interpellé une seule personne quand une coalition séditieuse et putschiste conspirait pour renverser le Président les 8, 9 et 10 janvier 2013 ?

D’ailleurs, il serait souhaitable, Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale, qu’une commission parlementaire enquête sur la conspiration des 8, 9 et 10 janvier 2013 afin de faire la lumière sur la déstabilisation programmée de la Transition ces jours funestes.

J’invite la Sécurité d’Etat à se concentrer sur la sécurité du pays et laisser les services compétents de police assumer leurs missions dans le respect des règles de l’Etat de droit.

En conclusion, pour répondre à votre question « Quel Mali après les élections de juillet 2013 », je dirai que quel que soit le Président élu, nous entrerons dans une Transition pendant laquelle d’importantes réformes devront être conduites notamment faire la paix au Nord en scellant un nouveau contrat national de paix et de réconciliation et le passage à la IVè République après avoir tiré les leçons des crises que nous avons traversées.

Je vous remercie.

Bamako, le 16 mars 2013.

Tiébilé Dramé.

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