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Niger : Par presse interposée, Le français Laurent Bigot et le ministre nigérien Bazoum s’envoient des missives inamicales

samedi 22 octobre 2016, par Assane Koné

Dans une chronique intitulée « Au Niger, l’armée affaiblie par la paranoïa de son président », Laurent Bigot chroniqueur à « Le Monde Afrique » a dénoncé « la déstabilisation de l’armée nigérienne entretenue par Mahamadou Issoufou et sa peur obsessionnelle d’être renversé ». Ce texte n’a pas du tout plu au Niger. Mohamed Bazoum, ministre de l’intérieur nigérien, en réaction publiera au « Le Monde Afrique » un article intitulé « Non M. Bigot, la France n’est pas le démiurge de l’Afrique ». Où, il qualifie Laurent Bigot d’ « un fieffé incompétent, paternaliste et frustré ». Face à cette réaction d’une autorité nigérienne, Laurent Bigot, dans une chronique un texte intitulé : « Monsieur le Ministre, avez-vous oublié la teneur de nos conversations ? », se rappelle aux bons souvenirs de M. Bazoum, ministre de l’intérieur du Niger, qui l’accuse de ne pas connaître son pays. Lissez les missives inamicales publiées chez notre confrère le Monde Afrique.

Au Niger, l’armée affaiblie par la paranoïa de son président

Photo I

Notre chroniqueur dénonce la déstabilisation de l’armée nigérienne entretenue par Mahamadou Issoufou et sa peur obsessionnelle d’être renversé.

L’armée nigérienne est exposée sur plusieurs fronts où ses ennemis sont mobiles et insaisissables. A la frontière avec le Nigeria et le Tchad, Boko Haram a infligé de lourdes pertes aux forces de sécurité nigériennes. La dernière attaque en date est venue d’un autre front, le Mali, et a causé la mort de 22 soldats nigériens au moins à Tazalit, jeudi 6 octobre. Selon le ministre de la défense nigérien, Hassoumi Massaoudou, elle serait l’œuvre de groupes narcoterroristes implantés au Mali.

L’armée nigérienne paie un lourd tribut depuis quelques années pour assurer la sécurité du Niger. Pourtant, ce pays Niger consacre une part croissante de ses ressources à l’armée puisque, selon le ministre Hassoumi Massaoudou, les dépenses ont été multipliées par quinze.

Nombreux officiers éloignés

Alors où est le problème ? Dans l’affaiblissement de l’armée nigérienne depuis l’élection de Mahamadou Issoufou, en 2011. Obsédé qu’il est par son adversaire politique, Hama Amadou, le président Issoufou et son entourage se sont intoxiqués à la paranoïa, persuadés que Hama Amadou se saisirait du pouvoir par la force avec l’aide d’officiers lui étant restés fidèles depuis l’époque où il était premier ministre (de 2000 à 2007) du président Tandja. L’actuel ministre de l’intérieur Mohamed Bazoum avait même évoqué dans une interview à Jeune Afrique, fin 2015, de prétendues connexions entre Hama Amadou et des « officiers ethnicistes ». Cette paranoïa a conduit à l’éloignement de nombreux officiers de valeur (comme attachés de défense dans des ambassades, par exemple) et à l’ostracisation d’une partie des officiers soupçonnés d’être proches de Hama Amadou.

Une partie de l’armée s’est sentie humiliée en décembre 2015 avec les suites de la supposée tentative de coup d’Etat. Des officiers sont depuis lors en prison sans qu’aucun procès ne soit prévu, ni aucune preuve présentée, malgré les déclarations tonitruantes du ministre de la défense de l’époque qui avait affirmé que certains officiers étaient passés aux aveux alors que les accusés continuent de clamer leur innocence.

Cette déstabilisation de l’armée s’est, en outre, accompagnée d’un large détournement des ressources du budget du ministère de la défense. Si le budget de la défense a été multiplié par quinze, celui du patrimoine de certains l’a été par un facteur au moins équivalent. Au-delà de l’affaire de l’achat de l’avion présidentiel, c’est le rôle d’un intermédiaire sulfureux qui alimente la chronique à Niamey. Cet intermédiaire, dont le surnom est « petit Boubé », a été attributaire de nombreux marchés qu’il a au mieux surfacturés, au pire détournés (il aurait encaissé des avances sans jamais livrer le matériel). « Petit Boubé » est également recherché par la justice au Nigeria, car son nom apparaît dans l’affaire du détournement de plusieurs milliards de dollars par Sambo Dasuki, conseiller à la sécurité nationale de l’ancien président du Nigeria, Goodluck Jonathan. Tout cela n’a été possible qu’avec la protection du précédent ministre de la défense du président Issoufou, Mahamadou Karidjo, dont le patrimoine immobilier à Niamey a connu une embellie spectaculaire. Ce dernier a été élu cette année président de la Haute Cour de justice, la seule institution susceptible de mettre en accusation le président de la République et de le juger. Elle juge également les membres du gouvernement…

Narcotrafiquants notoires

Ces détournements ont pour principal effet de priver l’armée de matériel performant, qui leur fait cruellement défaut face à Boko Haram. En revanche, le matériel de la garde présidentielle est flambant neuf, comme j’ai pu le constater lors de mon dernier séjour à Niamey. Alors que le président devait se rendre à l’aéroport pour un voyage à l’étranger (les déplacements à l’étranger occupent une grande place dans l’agenda présidentiel) et que la circulation était bloquée depuis une heure dans Niamey, j’ai pu admirer les uniformes neufs des militaires postés aux différents carrefours et leur impressionnant matériel incluant même des blindés ! La protection du président impose une meilleure gestion des deniers publics semble-t-il.

Les précédentes défaites se sont produites face à Boko Haram. Celle de Tazalit face à des narcoterroristes, selon le ministre de la défense. Cela risque de poser un sérieux problème à l’Etat du Niger. Nombreux, en effet, sont ceux qui dénoncent la présence de narcotrafiquants notoires à proximité du pouvoir nigérien (les services de renseignement occidentaux en sont parfaitement informés et ont écrit quelques rapports sur le sujet), dont un des représentants les plus illustres, Chérif Ould Abidine, dit « Chérif Cocaïne », est décédé peu avant la présidentielle de 2016 (le président Issoufou a même assisté à la levée du corps).

Certains proches du président nigérien concèdent en privé que cette proximité constitue un problème, mais également un sujet tabou que personne ne peut évoquer avec lui, qui ne tolère plus aucune critique. L’un d’entre eux me confiait même récemment ne plus reconnaître Mahamadou Issoufou, l’homme. La gangrène aurait donc atteint le sommet de l’Etat ? Certainement. Et ce n’est pas l’opération anticorruption « Mai Boulala » (« celui qui a la chicotte » en haoussa) qui y remédiera, car aucune des têtes d’affiche n’a encore été mise en cause. Et ne le sera probablement pas.

La France ferme les yeux

Et que pense la France de tout ça ? Elle n’en pense rien, car elle ferme les yeux. Le président Issoufou est un ami du président Hollande donc tout va bien au Niger, tout comme au Mali puisque le président Ibrahim Boubacar Keïta est aussi un de ses amis. Et puis le Niger doit rester stable, donc interdiction d’ouvrir les yeux. On se contente de l’apparente stabilité du moment sans faire l’effort intellectuel de comprendre ce qui contribuerait à une stabilité réelle et durable. Cet argument de la stabilité nous a coûté cher par le passé, car c’est avec ce type de raisonnement que nous avons soutenu des dictateurs tels Bachar Al-Assad (et oui, on l’aimait bien avant), Mouammar Kadhafi (lui aussi a été un ami), Ben Ali, Saddam Hussein, qui ont fini par provoquer l’effondrement de leur pays.

Quand la stabilité devient un objectif en soi, elle permet de couvrir les pires dérives et ne fait que creuser le sillon de graves déstabilisations ultérieures, voire de guerres civiles comme en Syrie ou en Libye. La stabilité d’un pays doit être la conséquence d’un fonctionnement équilibré des institutions et de l’effectivité de l’Etat de droit. Mais il est vrai que, vu ainsi, cela nécessite une politique étrangère courageuse et ambitieuse bien éloignée des simplismes qui prévalent aujourd’hui. Puisque personne ne s’inquiète que notre politique aille dans le mur au Sahel, alors allons-y !

Laurent Bigot est un ancien diplomate français devenu consultant indépendant.
Laurent Bigot chroniqueur Le Monde Afrique

Photo II

« Non M. Bigot, la France n’est pas le démiurge de l’Afrique »

Mohamed Bazoum, ministre de l’intérieur nigérien, répond à Laurent Bigot, dont la dernière chronique était consacrée à la « paranoïa du président Issoufou ».

Lorsqu’on veut se faire passer en France pour un connaisseur de l’Afrique et qu’on dirige un cabinet de consultance dénommé Gaskia (« vérité » en langue haoussa) comme Laurent Bigot, on devrait s’efforcer d’écrire des choses auxquelles on a consacré un minimum de recherches, aller au-delà de lieux communs ressassés par une certaine presse locale et faire montre d’une exigence éthique conforme à l’objectif de vérité que l’on revendique.

Dans son article sur le Niger et son président publié par Le Monde Afrique le lundi 10 octobre, M. Bigot n’a rien dit qui n’ait été répété ad nauseam par la presse de l’opposition nigérienne. En recyclant des poncifs galvaudés, il ne fait pas preuve d’expertise mais il laisse libre cours à des préjugés auxquels succombent facilement certains Français qui parlent de l’Afrique ou du monde arabe.

Parlant de ce qu’il appelle la « paranoïa du président Mahamadou Issoufou » et des dangers auquel il exposerait son pays, voici ce qu’écrit M. Bigot : « Et que pense la France de tout ça ? Elle n’en pense rien. Car elle ferme les yeux (…). C’est avec ce type de raisonnement que nous avons soutenu des dictateurs tels Bachar Al-Assad, Mouammar Kadhafi, Ben Ali, Saddam Hussein, qui ont fini par provoquer l’effondrement de leur pays. » De quelle France parle M. Bigot ? Cette France qui n’aurait besoin que d’ouvrir les yeux pour qu’il n’y ait ni d’Assad, ni de Saddam, ni de Kadhafi ? M. Bigot est en proie à un double préjugé. D’abord, la France a des capacités de démiurge : il lui suffit d’« ouvrir les yeux » pour que change le destin des Africains et des Arabes. Et aussi : les Arabes et les Africains ne sont rien par eux-mêmes. Non, M. Bigot, le sort de l’Irak, de la Syrie, de la Libye et du Niger n’a jamais dépendu de la France. Même vis-à-vis des pays africains comme le Niger, M. Bigot doit savoir que la France n’a aucun pouvoir de démiurge. Il ne dépendra jamais d’elle que les dirigeants africains soient vertueux ou pas ; ce préjugé aux fondements douteux, M. Bigot se doit d’en guérir définitivement.

Préjugés aux fondements douteux

En lisant la presse nigérienne d’opposition, M. Bigot a pris connaissance des thèses qu’elle distille à propos de certains officiers de l’armée envoyés comme attachés militaires à l’étranger. Un éloignement qui, selon M. Bigot, expliquerait les contre-performances de l’armée. C’est vrai qu’au moment de sa prise de fonction, le président Issoufou avait envoyé cinq officiers comme attachés militaires. Mais il s’agissait de personnes qui avaient contribué au coup d’Etat de février 2010, qui avaient assumé de hautes responsabilités politiques pendant le régime militaire transitoire et avaient eu maille à partir avec leur chef de l’époque, le général Djibo Salou. Celui-ci avait décidé d’organiser des élections pour remettre le pouvoir aux civils, mais avait dû mettre en prison certains d’entre eux parce qu’ils tenaient, selon lui, à ce que l’armée garde le pouvoir. Lorsqu’il a été élu, M. Issoufou les avait sortis de prison et envoyés dans des ambassades. Il est de notoriété publique que ces officiers n’avaient aucun lien avec M. Hama Amadou.

Quand M. Bigot parle de l’affaiblissement de l’armée nigérienne, de quoi parle-t-il au juste ? Depuis 2011, du fait de l’accroissement des menaces terroristes suite à l’effondrement de l’Etat libyen et à l’occupation du nord du Mali par les djihadistes, les effectifs de l’armée ont été presque multipliés par deux. Elle a acquis de nombreux véhicules, de nombreuses armes et même des avions de chasse qui ont assuré sa victoire sur Boko Haram en août et en septembre 2016 lors de la prise des villes de Damassak, Abadam, Gashagar et Malanfatori au Nigeria. Ce que M. Bigot ignore, c’est que l’armée nigérienne toute seule a libéré au mois d’août la ville de Damassak, qui était la plus importante base de Boko Haram à la frontière du Niger. Au mois de septembre, conjointement avec l’armée du Nigeria, mais en première ligne et grâce à des avions de reconnaissance et des avions de guerre exclusivement nigériens, elle a considérablement contribué à libérer toutes les localités frontalières, jusqu’à Malanfatori.

Laurent Bigot ignore cela, lui, le spécialiste du Niger. De l’armée du Niger, il ne connaît que les déboires, comme ceux du 3 juin 2016 à Bosso, parce qu’il se comporte comme ces journalistes que l’information n’intéresse que dans la mesure où elle est spectaculaire. Il ignore les nombreux blindés neufs et de bonne facture acquis au cours de l’année 2016 et le rôle qu’ils jouent dans la lutte contre Boko Haram. Il ignore qu’il n’y a pas que les soldats de la garde présidentielle qui ne soient plus en haillons. Il ignore ce que l’Etat fait dans le domaine militaire dans la région d’Agadez. Il ignore par exemple que le bataillon de Dirkou a été érigé en zone militaire et que des bataillons sont en passe d’être installés dans le Djado. Il ignore qu’une grande piste d’atterrissage a été construite à Diffa pour permettre aux avions de chasse Sukhoï acquis sous Issoufou de se poser et d’opérer contre Boko Haram. En proie à ses préjugés, M. Bigot ne se pose pas la question de savoir comment fait l’armée nigérienne pour assurer la souveraineté de l’Etat sur ces vastes territoires, à la frontière algérienne sur plus de 800 km, à la frontière malienne sur plus de 900 km, à la frontière tchadienne sur 1 000 km, à la frontière libyenne sur 400 km, espace désertique, aride et rocailleux.

Une armée renforcée mais vulnérable

De cette armée et de ce qu’elle fait, il ne retient que la tragédie du 6 octobre de Tazalit, à la frontière du Mali. Ce jour-là, ce sont des gardes épuisés qui ont été lâchement assassinés par un groupe de terroristes dans une zone dont les effectifs, mobilisés au début de l’année 2016 dans le cadre de l’opération « Chara », avaient été redéployés dans la région de Diffa au lendemain des événements de Bosso du 3 juin. Les autorités n’avaient pas d’autre choix et savaient que cette option n’était pas dénuée de risques, car cette région aux confins du Mali et de l’Algérie était plutôt à découvert. En effet, malgré les recrutements, malgré ses nouveaux équipements, l’armée du Niger est loin d’être au niveau de la menace qui pèse sur le pays du fait de son environnement immédiat caractérisé par la situation en Libye, au Mali et au Nigeria. Pour des raisons strictement financières, parce que le pays est très pauvre et très vaste, ses effectifs restent insuffisants, son niveau d’entraînement et ses moyens, limités. Elle est par conséquent objectivement vulnérable, surtout dans un contexte de guerre asymétrique où l’ennemi se concentre sur une seule action isolée. Du reste, quel pays au monde est à l’abri du terrorisme ?

Sur la tentative du coup d’Etat de décembre 2015, aussi, M. Bigot est resté à la surface. S’il s’était renseigné auprès de la juridiction compétente, il aurait appris que l’instruction est bien avancée et que certains des prévenus sont assistés par des conseils français.

M. Bigot a-t- il vraiment raison, lui, l’expert, de parler sans la moindre précaution, comme le font les militants de l’opposition, d’un sujet aussi grave ? Dans un pays qui a été victime de trois coups d’Etat après la conférence nationale – en 1996, en 1999 et en 2010 –, qu’y a-t-il d’étonnant à ce qu’on parle d’une tentative de coup d’Etat en 2015 ? Quelles investigations a-t-il menées pour affirmer avec tant d’aplomb que tout est faux ?

Cette posture est symptomatique du même préjugé relevé plus haut. Pour certains, les dirigeants africains sont forcément menteurs, champions de mises en scène, englués dans la corruption, et même impliqués dans les trafics de drogues. A propos de la drogue justement, le gouvernement nigérien est celui qui a conçu une véritable doctrine quant à la solution du problème malien qui passe nécessairement par la lutte contre ce fléau. Cette doctrine de l’inséparabilité du combat contre la drogue et contre le terrorisme, il n’a de cesse de l’exposer à ses partenaires français, américains et autres, car il est convaincu que l’économie criminelle entretient la guerre au Mali.

Dans sa chronique, M. Bigot n’a pas épargné M. Issoufou, portant contre lui des accusations infamantes. Or ce procès ad hominem ne me paraît pas motivé que par des considérations objectives propres à un expert, mais a sans doute à voir avec une déception professionnelle qui date de la fin de l’année 2013, lorsque M. Bigot, « conseiller » d’Areva, était venu à Niamey. Il proposait alors ses services pour une médiation entre la société française et le gouvernement nigérien. Mais le président Issoufou, qui n’en voyait pas la nécessité, n’avait pas donné de suite favorable à cette démarche.

Mohamed Bazoum est ministre de l’intérieur du Niger.

Photo III

Niger : « Monsieur le Ministre, avez-vous oublié la teneur de nos conversations ? »

Laurent Bigot, dont la chronique a fâché Niamey, se rappelle aux bons souvenirs de M. Bazoum, ministre de l’intérieur du Niger, qui l’accusait de ne pas connaître son pays.

Monsieur le Ministre,

J’ai lu avec intérêt votre réponse à ma chronique sur le Niger et je l’ai même publiée sur ma page Facebook par souci d’équité. Toutefois, il y a des affirmations inexactes sur lesquelles je souhaite revenir pour éclairer les lecteurs. Je ne vous cache pas que j’ai un peu de mal à vous vouvoyer alors qu’habituellement nous nous tutoyons, mais je ne voudrais pas apparaître incorrect et encore moins paternaliste (puisque c’est ce que vous sous-entendez dans votre réponse). Aussi m’en tiendrai-je au « vous ».

Cela fait plus de quinze ans que nous nous connaissons, Monsieur le Ministre. J’ai fait votre connaissance au début des années 2000 alors que j’étais premier secrétaire à l’ambassade de France à Niamey et que vous étiez dans une opposition active au président Tandja. Puis nous nous sommes retrouvés après l’élection du président Issoufou, en 2011, lors de vos déplacements à Paris, car, à l’époque, vous étiez ministre des affaires étrangères.

Je reste toutefois étonné que vous ayez pris la peine de répondre à ma chronique, car, à la lecture de votre réponse, je ne suis qu’un fieffé incompétent, paternaliste et frustré. Vous avez même déclaré sur les ondes de RFI que « Monsieur Bigot ne comprenait rien ». Dans ces conditions, Monsieur Bigot mérite-t-il qu’un ministre s’abaisse à son niveau ? Peu de journalistes nigériens ont eu le droit à cet honneur alors, permettez-moi d’y voir une marque de considération, à moins que ma chronique ait touché un point vraiment sensible.

Vous martelez tout au long de votre réponse que j’ignore tout du Niger et de sa situation sécuritaire (vous ne m’avez pas toujours dit ça en privé). Mais surtout, vous suggérez que je serais frappé d’un complexe de supériorité comme certains Français le sont à propos de l’Afrique. Vous allez même jusqu’à rappeler que la France ne serait pas « le démiurge de l’Afrique ». Non seulement je n’ai jamais prétendu une telle chose mais, en plus, je fais partie de ceux qui pensent que les peuples africains ont leur destin en main et que le fantasme de la France qui détiendrait les cartes du pouvoir en Afrique est ridicule. Je passe, dans votre réponse, sur une forme d’obsession que vous avez de l’opposition nigérienne, car cela nous renverrait au titre de la chronique qui a provoqué votre courroux.

En revanche, je souhaite m’arrêter sur le dernier paragraphe de votre texte car, visiblement, inspiré par Cyrano de Bergerac, vous souhaitiez toucher à la fin de l’envoi. Soit. Mais pour cela, il faut être précis et vous avez pris quelques libertés avec les faits. Revenons donc à la fin de l’année 2013, nous sommes en novembre exactement. Areva vient en effet de me confier une mission d’assistance dans le cadre des négociations avec le gouvernement nigérien pour le renouvellement des conventions minières. J’ai alors sollicité une audience avec le président Issoufou. Au-delà du fait que c’était à Paris et non Niamey (à l’hôtel Concorde Lafayette, désormais Hyatt Regency pour être précis), cette audience n’avait pas pour but de vendre mes services de médiation, comme vous l’écrivez, mais de présenter la mission que m’avait confiée AREVA.

« A la lecture de votre réponse, je ne suis qu’un fieffé incompétent, paternaliste et frustré ». Laurent Bigot

La dernière fois que j’avais vu le président Issoufou (*), j’étais encore au Quai d’Orsay, en qualité de sous-directeur pour l’Afrique de l’Ouest. Il me semblait par conséquent nécessaire d’expliquer au président ma nouvelle activité de consultant. J’ai à cette occasion fait remettre une note au président Issoufou présentant mon point de vue sur les enjeux de cette négociation et pourquoi j’avais accepté cette mission. A moins que vous m’y autorisiez, je ne rendrai pas public ce document qui a été remis au directeur de cabinet du président, car c’est effectivement vers lui que le président Issoufou m’avait orienté. J’aimerais cependant en citer un passage et tenir la note à votre disposition si cette dernière n’était pas archivée à la présidence :

« Pour conclure, je voudrais préciser que je ne travaille que pour les causes auxquelles je crois (j’ai refusé des offres qui ne correspondaient pas à mes valeurs), c’est pourquoi ma société s’appelle Gaskiya (vérité en haoussa). »

Oui, je pensais qu’un accord équilibré était possible et c’est du reste ce à quoi la négociation a abouti. J’ai rencontré, par la suite, plusieurs ministres lors de mes missions à Niamey et nous avons même, vous et moi, Monsieur le Ministre, déjeuné ensemble à Paris, place du Trocadéro, pour évoquer ce sujet et bien d’autres. Nous avions, à l’époque, des vues très proches sur les raisons du blocage de la négociation. Soyez rassuré, cette conversation était privée et le restera.

Vous ne répondez plus à mes SMS depuis la parution de ma chronique. Sachez pourtant que c’est avec le plus grand plaisir que je reprendrais avec vous nos conversations sur le Niger et l’Afrique.

Sai an jima (« à bientôt » en haoussa).

(*) Dans des circonstances tragiques, puisque c’était à la levée de corps du directeur du protocole de la présidence du Niger, qui était décédé brutalement à Paris alors que le président et sa délégation se rendaient à New York.

Laurent Bigot chroniqueur Le Monde Afrique


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