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ME KASSOUM TAPO AU SUJET DES SANCTIONS DE LA CEDEAO : « Il n’y a pas de stratégie (…) pour sauver notre économie… »

vendredi 18 février 2022, par Assane Koné

Des sanctions de la Cedeao à la situation sociopolitique tendue du pays, le président du Mouvement pour la refondation du Mali (Morema), Me Kassoum Tapo, s’est exprimé sur les sujets qui fâchent. L’avocat est apparu sur le plateau de l’émission “En toute liberté” de Djoliba TV comme à son habitude : décontracté. Nous vous proposons un extrait de son intervention.

Journaliste : il y a eu un chronogramme qui a été proposé à la Cedeao, de 6 mois à 5 ans. Juste après, l’organisation sous-régionale a sanctionné durement le peuple malien. Des sanctions économiques et financières très sévères. On ne vous a pratiquement pas entendu. La classe politique ne s’est pas prononcée sur les sanctions de la Cedeao. Qu’est-ce qui s’est passé ?

Me Kassoum Tapo : vous voulez qu’on dise quoi ? On n’a jamais applaudi pour ces sanctions. On les a regrettées comme tous les Maliens. Aucun Malien ne peut applaudir et approuver ces sanctions. Au-delà, qui en est responsable ? Ceux qui ont voulu et nous ont amenés à ça, c’est à eux qu’il faut poser la question. C’est eux qui se justifient aujourd’hui sur comment on va s’en sortir. Mais, nous avions dit qu’il fallait éviter qu’on en arrive là. La Cedeao elle-même, il faut savoir reconnaître les choses, ce n’est pas ce que les chefs d’Etat de la Cedeao ont souhaité. Il y a eu combien de sommets avant qu’on arrive aux sanctions ? Donc, si les sanctions arrivent, je pense que ceux qui les ont cherchées et qui veulent braver encore aujourd’hui la communauté internationale doivent en répondre. Qu’est-ce que vous voulez qu’on dise ?

Le 14 janvier le peuple malien, à l’appel des autorités de la transition, était justement sorti pour dire non aux sanctions de la Cedeao. Il y avait du monde, c’était la déferlante. Qu’est-ce que vous comprenez à travers cette mobilisation historique ?

Il ne faut pas donner à cette mobilisation le sens qu’elle n’a pas. Pour la première fois de l’histoire politique du Mali, on a appelé à une mobilisation à partir d’un conseil des ministres. Conseil des ministres de la République qui demande à descendre dans la rue. Evidemment, avec la fibre patriotique qui a été mise en jeu, les gens ont répondu.

Je peux vous dire que je n’ai jamais été à une place quelconque en aucune occasion. J’ai fait beaucoup de mouvements estudiantins, oui. Mais responsable politique, je ne suis jamais allé dans la rue. Personne ne m’a vu dans la rue, même pas en mars 1991, à part la marche des avocats. Donc, ce n’est pas la place habituelle que je fréquente ; mais d’esprit, j’étais avec les 4 millions de Maliens. On a dit 4 millions de Maliens, mais d’esprit c’était les 20 millions de Maliens. Les 20 millions de Maliens ont regretté ces sanctions.

Cette grande mobilisation, est-ce que c’est un soutien aux autorités de la transition ou c’est un soutien pour peut-être sortir de la crise ?

Je crois que c’est une réaction des Maliens, normale et prévisible. Vous savez, le vendredi où la marche a été faite, j’étais dans une mosquée où on nous a invités à regagner la place de l’indépendance. Toutes les mosquées de Bamako (mosquées de vendredi), sans exception, ont appelé à aller à la place de l’indépendance. C’est le cœur malien qui a répondu. On s’est senti agressé par la Cedeao. Donc quand vous faites face à une agression extérieure, le peuple se mobilise. Cette mobilisation, pour moi, c’est d’abord contre l’agression qu’on a ressentie à travers les sanctions. Et le Mali a réagi à ça. Mais je ne pense pas que c’était un soutien à qui que ce soit.

Dès les premières heures de la transition, la classe politique malienne était très bavarde. Vous étiez souvent sur les plateaux pour dénoncer, rappeler à l’organisation des élections. Mais depuis un certain temps on n’a comme l’impression que vous avez baissé la garde. Est-ce pour des raisons stratégiques ou c’est seulement le contexte qui ne s’y prête pas pour vous ?

Je ne suis pas pour le principe de dire tout le temps tout et n’importe quoi. Ça vous rattrape toujours. Ceux qui étaient dans la rue avant qu’on ne les associe à la transition ont eu tous les mots contre les militaires. Et aujourd’hui, ils sont en train de claironner que c’est la meilleure transition du monde. Mais juste quelques jours avant qu’ils ne viennent aux affaires, ils décriaient cette transition. Moi, depuis le 20 août, est-ce que quelqu’un m’a entendu décrier la transition ? Je n’ai absolument jamais critiqué la transition. Mais, j’ai tout simplement dit qu’il faut respecter la démocratie. Chaque fois que j’étais sorti, c’était pour défendre des libertés. Quand on a mis des gens injustement en prison, qu’on les a poursuivis, j’ai fait mon travail d’avocat. Mais politiquement est-ce que vous m’avez pas entendu critiquer ou insulter les autorités, les traiter d’illégales ou illégitimes ? Jamais !

Donc, aujourd’hui, il y a une situation qui a surpris tout le monde : les sanctions de la Cedeao et de l’Uemoa. Personne ne s’attendait à une réaction aussi vive. On n’est tous un peu assommés, attristés. Je ne m’en réjouis pas, je ne peux pas le faire. Parce qu’aujourd’hui je vis, ma famille, mes voisins, mes amis, les gens que j’aide tous, je vois comment ils vivent la situation.

Mais les autorités disent qu’elles ont préparé un plan de riposte pour faire face justement à ces sanctions ; que le peuple ne va pas tellement sentir l’effet. Qu’est-ce que vous constatez ?

Vous savez, il ne s’agit pas de mettre des tenues camouflées en venant sur la place de l’indépendance pour dire le peuple, le peuple. Ce n’est pas ça !

Aujourd’hui, la réalité sur ce que les Maliens vivent, c’est quoi ? On nous a dit qu’il y a une stratégie pour les 15 années à venir, qui ont été dégagées en si peu de temps par des hommes qui ont participé pendant 30 ans à la vie politique nationale. Aujourd’hui, comme par hasard, en 10 jours ils ont une stratégie pour répondre à ces sanctions.

Quand vous parlez de tenue camouflée, vous faites allusion à qui par exemple ?

Vous m’avez montré des images, vous les avez vues comme moi. Vous avez parlé d’un sursaut populaire pour sauver le Mali qui est en guerre, etc. Si on met des tenues camouflées comme le Premier ministre éthiopien, on va au front avec des kalachnikovs. Ça, j’aurais compris ! Mais de la place de l’indépendance, on défie la communauté internationale. Et ensuite dire : on a défini des stratégies pour les 15 années à venir. Mais quoi ; qu’est-ce qu’on a fait de concret ? On a eu des opérateurs qui sont venus dire qu’ils vont juguler la crise tout de suite. Ça n’a pas encore commencé la crise. Quelle solution nous a été proposée ? J’ai vu nos autorités se rendre en Mauritanie et en Guinée. Le port de Guinée n’arrive pas à satisfaire les Guinéens, la Mauritanie : la même chose. Vous croyez que c’est eux qui vont remplacer la Côte d’Ivoire et le Sénégal ? Non !

Qu’est-ce que vous allez faire au niveau du Cadre d’échange des partis politiques pour la réussite de la Transition. A un moment vous avez dit clairement qu’à partir du 27 février, date de la fin normalement de la transition avant la tenue des Assises nationales de Refondation, vous n’alliez pas reconnaître les autorités de la transition. Mais depuis un certain temps on a l’impression que ce n’est plus à l’ordre du jour !

Au Cadre, on n’en a jamais fait une fixation. Quand le président a appelé et qu’on s’était rendu compte qu’effectivement on ne pouvait pas faire les élections le 27 février, qu’est-ce qu’on lui a dit : M. le président, appeler tous les Maliens, asseyons-nous, examinons la durée de la transition par rapport au chronogramme électoral. Évaluons le temps perdu et voyons quel délai nécessaire, suffisant, raisonnable il faut pour faire les élections. Parce qu’il était évident pour nous qu’en février on n’aurait pas respecté la date. Mais au lieu de ça, on n’est allé aux Assises pour faire sortir quoi ? On nous a dit que le délai de la transition ne devait même pas faire l’objet de débat. Effectivement, si vous prenez les thématiques, il en avait 13. Il n’y a pas une seule ligne sur le délai de la transition. Mais le résultat c’est quoi ? Le résultat des Assises a été la prolongation de la transition. C’est la seule chose qu’on a retenue. Et d’ailleurs, c’est cela qui a mis le feu aux poudres quand on n’est allé dire à la Cedeao que le peuple malien a décidé cinq (5) ans de transition. C’est cela qui a irrité nos partenaires. Il a de quoi parce qu’à ma connaissance, je n’ai pas participé aux Assises, mais je n’ai pas vu une proposition de cinq (5) ans avec un chronogramme fait par les Assises. On a dit de voir une durée de six (6) mois à cinq (5) ans. Mais si on part dire à la Cedeao : voilà le chronogramme, c’est cinq (5) ans. Alors, ils ont pris ça comme une provocation et ont réagi en conséquence. Mais ce que je veux ajouter, on n’en veut pas à la Cedeao. Mais vous croyez que c’est nous seulement qui souffrons des conséquences de ces sanctions ? Mais l’économie ivoirienne et sénégalaise vont en souffrir. Vous pensez que leurs chefs d’Etat sont des irresponsables ; qu’ils ne savent pas que leurs économies en souffrent et que leurs peuples vont en souffrir aussi ? Vous pensez qu’ils ignorent la souffrance du peuple malien. C’est d’ailleurs pour ça qu’ils ont pris tout ce temps avant les sanctions.

Mais est-ce que nous, nos autorités en ont conscience ; puisque vous dites que les voisins savent, est-ce le cas chez nous ?

On n’en est conscient, puisque j’entends dire que nous sommes des frères, des parents au sein de la Cedeao. Et que c’était un bruit passager. J’espère que le dialogue n’est pas rompu. Je souhaite qu’on dialogue avec nos partenaires parce qu’on ne peut pas se passer de la Cedeao. Ce n’est pas vrai ! Il n’y a pas de stratégie à court et long terme pour sauver notre économie indépendamment de l’économie des pays de la sous-région et de l’économie mondiale. Parce qu’au-delà de la sous-région, la Bceao participe à l’économie mondiale.

Avant de parler des questions de diplomatie, pour l’argument que les autorités de la transition évoquent, le plus souvent, c’est que le contexte sécuritaire ne s’y prête pas pour faire de très bonnes élections. Vous avez organisé vous-mêmes des élections. Est-ce que vous pensez que cet argument tient la route ?

Mais s’il tenait la route on n’allait pas être sanctionné. Ça ne tient pas la route pour une simple raison. Je ne vais pas rappeler les propos des politiques qui sont aux affaires, qui ont dit que la place des militaires se trouve au front. Vous avez entendu combien de fois avant le 24 mai queue la place des militaires était au front et non à Koulouba, dans les bureaux climatisés, et qu’il faut organiser les élections.

Comment voulez-vous, dans le bon sens, que ceux qui sont chargés de la sécurité fassent de la politique ? Le pouvoir politique est issu des urnes, conféré par le peuple à des citoyens politiques qui ont comme boulot de diriger le pays. Ils doivent définir les politiques avec les militaires pour qu’eux, ils assurent la sécurité et non l’inverse.

Sauf qu’on a aussi l’impression que le peuple malien n’est pas tellement pressé pour aller à des élections ?

Écoutez, c’est vous qui le dites. Vous savez, le peuple c’est un concept élastique qu’on utilise. On met ce qu’on veut là, dedans. Qui est le peuple ? Quel peuple l’a dit ? Le peuple qui disait avant-hier qu’il faut aller aux élections. Ce n’est pas seulement le Cadre, remémorez-vous des discours et des propos de certains hommes politiques qui ont dit qu’il faut respecter le 27 février. Aujourd’hui, ces sont les mêmes qui viennent nous dire qu’il faut cinq (5) ans.

Question de diplomatie ; aujourd’hui, il y a une brouille diplomatique entre le Mali et son partenaire, la France suite à des propos tenus par le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. Le Mali qui est monté au créneau en expulsant l’ambassadeur de France à Bamako. Quelle réaction faites-vous à cette dernière actualité ?

Je ne suis pas Français, je n’ai qu’une seule nationalité. Je n’ai aucun intérêt particulier pour la France. Cela étant clarifié, je pense que ces incidents diplomatiques sont absolument inutiles dans un contexte comme ça. On a dit que le ministre français a eu des propos outrageux. Je veux bien, mais il a dit quoi ? Soyons concrets. Alors, décortiquons ce qu’il a dit en deux sens. Autorités illégitimes ; est-ce que c’est le ministre des Affaires étrangères français le premier qui a tenu ces propos ? Vous vous souvenez des gens qui ont dit que le CNT était illégal et illégitime, et qui ont fait un procès pour ça ? Ils ont dit que le gouvernement était composé, à 20 personnes sur 25, des militaires ou les membres de leurs familles. Que le Premier ministre avait été désigné par le militaire ; que c’était un pouvoir illégitime et illégal. On a même repris illégal et illégitime sans littorale à Bambara. Si un Français répète ça, c’est une analyse politique, ce n’est pas une insulte. Le ministre malien a dit dans son communiqué des propos outrageux, pour moi ce n’est pas le cas.

Vous avez pris des mesures irresponsables, c’est le renvoi des troupes danoises. C’est un jugement politique. Demain si la France avait réagi en renvoyant notre ambassadeur ou comme l’extrême droite française est en train de le demander à l’unanimité : renvoyer les Maliens, fermer l’ambassade du Mali, arrêter les flux monétaires vers le Mali, j’aurais dit que c’était des mesures irresponsables. En tant que Malien, je me serais permis de le dire sans insulter personne. Maintenant, si notre ministre a estimé que c’était une insulte, c’est les Maliens qui ont commencé ces injures.

Abdrahamane Baba Kouyaté
AZALAÏ EXPRESS


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