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Environnement : Le changement climatique en impose aux petits exploitants africains

mercredi 3 septembre 2014, par Assane Koné

Un nouveau rapport dévoile les risques de « saisons ratées », mais aussi des opportunités d’innovation, tandis que les petits exploitants africains subissent de nouvelles pressions climatiques. Alors que des pays placent l’agriculture au centre de leurs priorités, ce rapport détaillé explore des approches « intelligentes face au climat » pour les petits exploitants vulnérables, qui sont les principaux producteurs de nourriture en Afrique.

ADDIS-ABEBA, Éthiopie (2 septembre 2014) — Selon le Rapport 2014 sur l’état de l’agriculture africaine (AASR), les petits exploitants agricoles africains – contraints de s’adapter aux rapides hausses de températures et aux précipitations irrégulières – risquent d’être accablés par le rythme et l’ampleur du changement climatique. Élaboré par l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA), avec des contributions de nombreux universitaires africains, ce rapport constitue à ce jour l’examen le plus complet de l’impact du changement climatique sur les petits exploitants africains. Il indique également les pistes les plus prometteuses à suivre pour produire plus de nourriture, dans un contexte pourtant très difficile pour les cultures.

« Dans toute l’Afrique subsaharienne, les petits exploitants sont les piliers de la production alimentaire », explique Jane Karuku, présidente de l’AGRA. « Avec le réchauffement climatique, la sécurité alimentaire du continent et sa capacité à générer une croissance économique bénéfique aux plus pauvres – pour la plupart des agriculteurs – dépendent de notre capacité d’adaptation à des conditions plus stressantes. »

L’AGRA a publié ce rapport lors du Forum sur la révolution verte en Afrique, qui a rassemblé près de 1000 scientifiques, chefs d’entreprises, membres de gouvernements, représentants d’organisations de jeunes et de femmes et personnes issues de la société civile. Le rapport explique les retombées immédiates et les tendances à long terme du changement climatique en Afrique.

Dans toutes les régions de l’Afrique subsaharienne (ASS), les agriculteurs se heurtent à une hausse des températures moyennes. Des hausses plus importantes, comprises entre 1,5 et 1,5°C, sont prévues d’ici à 2050. Les scientifiques redoutent un assèchement important dans toute l’Afrique australe, et d’autres régions de l’ASS risquent de devenir plus humides, exposant les agriculteurs à des tempêtes plus violentes et des inondations plus fréquentes.

Le rapport indique que, sur les 35 prochaines années, le changement climatique pourrait augmenter de près de 40 % le nombre de personnes sous-alimentées en ASS (soit de 223 millions aujourd’hui à 355 millions en 2050). Le changement climatique pourrait aussi diminuer la concentration des oligo-éléments tels que le fer et le zinc dans les parties comestibles des plantes, et exacerber le grave problème des déficiences en micronutriments en ASS.

Risque croissant de « saisons ratées », impacts sur les rendements

Le changement climatique impactera la durée moyenne de la saison de croissance et la variabilité des précipitations. L’altération des conditions de croissance pourrait aussi faire baisser les rendements et, dans certaines régions, freiner la culture de productions alimentaires de base, si le changement climatique va au-delà de ce que les cultures peuvent tolérer. Par exemple, en Afrique de l’Est et centrale, les zones adaptées à la culture du haricot commun –importante source de protéine – qui s’étendent aujourd’hui sur 7 millions d’hectares, pourraient diminuer de 25 à 80 %. Les terres adaptées à la culture de la banane pourraient diminuer de 25 % dans le Sahel, et de 8 % en Afrique de l’Ouest.

Ces changements sont en train de se produire. Certaines régions de l’Angola, par exemple, ne sont plus cultivables après trois années de faibles précipitations et de
sécheresse (http://reliefweb.int/disasters). L’aggravation de l’assèchement et des sécheresses aura aussi des conséquences sur le bétail, comme dans les années 1980 et 1990 où une longue sécheresse avait décimé 60 % des troupeaux du Niger, du Botswana et d’Éthiopie.

De nouvelles études citées dans l’AASR présentent une cartographie des régions susceptibles de subir des « saisons ratées » en raison de précipitations plus irrégulières. Les pays les plus à risques sont situés en Afrique australe. Mais le Soudan du Sud et la ceinture agricole du sud de la Côte d’Ivoire au Nigeria et au Ghana sont aussi menacés.

Adoption d’une agriculture intelligente face au climat

Il sera vital pour les petits exploitants d’adopter un ensemble de pratiques et de variétés de cultures, et de pratiquer une agriculture « intelligente face au climat » (Climate-smart agriculture - CSA), telle que la désigne un nombre de plus en plus grand de scientifiques. Les stratégies de CSA visent à augmenter de façon durable la productivité agricole et les revenus en aidant les agriculteurs à s’adapter au changement climatique – et à augmenter la résilience de leurs communautés rurales. La CSA vise aussi à réduire les émissions de gaz à effet de serre dues à l’agriculture.

Les agriculteurs africains utilisent déjà des innovations qui les aident à surmonter les risques climatiques. Ils plantent des variétés de semences résistantes à la sécheresse, participent à des programmes innovants d’assurance sur le bétail et les cultures qui offrent des indemnités en cas de détérioration des conditions météorologiques, et adoptent des techniques de gestion des sols qui favorisent la rétention des eaux dans les champs et la réduction du ruissellement et de l’érosion.

Les stratégies d’adaptation incluent aussi le renforcement des droits fonciers, en particulier pour les femmes, la conservation de la biodiversité, l’amélioration des systèmes de diffusion de l’information, la mécanisation de l’agriculture, le renforcement des systèmes d’information relatifs aux marchés et à la météorologie, l’investissement dans la recherche agricole et l’éducation, l’intégration de systèmes de connaissance formelle et informelle, et la construction d’infrastructures agricoles comme les routes rurales et l’irrigation.

« Aider aujourd’hui les petits exploitants à relever le défi climatique va leur permettre de se préparer pour des défis encore plus importants », estime Dr David Sarfo Ameyaw, rédacteur en chef du rapport et directeur de la gestion et évaluation de la stratégie à l’AGRA. « Quand les agriculteurs sont capables d’utiliser des techniques intelligentes face au climat, cela fait une énorme différence. Malgré le changement climatique, la croissance agricole induite par les petits exploitants a un immense potentiel. Mais il y a un besoin urgent d’augmenter les investissements pour étendre l’agriculture intelligente face au climat en Afrique subsaharienne. »

Voici quelques-uns des plus importants investissements intelligents face au climat mis en valeur dans l’AASR :

• Gestion améliorée des sols : par exemple, trois projets de l’AGRA pour améliorer la fertilité des sols, et leur capacité à retenir et utiliser l’eau, ont bénéficié à un total de 126 000 agriculteurs de Tanzanie, du Ghana et du Malawi. Grâce aux techniques de gestion intégrée pour la fertilité des sols, ces projets ont permis l’accroissement du rendement du maïs, du soja et du pois d’Angole. Le retour sur investissement pour chaque dollar investi est monté de 5 à 17 dollars US. (Cliquez ici pour télécharger le récent rapport de l’AGRA sur son Programme sur la fertilité des sols.)

• Nouvelles variétés de cultures. Identifier et sélectionner les semences adaptées à une région ou un environnement spécifique peut permettre de réduire la dépendance des agriculteurs aux engrais industriels en utilisant plus efficacement les nutriments limités du sol. Il existe aussi des variétés de cultures plus tolérantes à la sécheresse ou aux sols salins, ou qui résistent aux vagues de maladies végétales et aux insectes. De plus, les sélectionneurs de plantes s’efforcent de stimuler la productivité et la valeur nutritionnelle des cultures. Sur les dix dernières années, près de 500 nouvelles variétés de cultures adaptées à certaines conditions et défis ont été mises à disposition de petits exploitants agricoles. (Cliquez ici pour télécharger le récent rapport de l’AGRA sur son Programme pour les systèmes de semences africains.)

• Gestion améliorée des eaux. Seuls 4 % des terres cultivées en Afrique sont irrigués, et le reste est tributaire de précipitations de plus en plus irrégulières. Mais la gestion des eaux ne se limite pas à l’irrigation. Par exemple, la rétention des eaux pluviales dans des bassins ou des tonneaux et d’autres techniques de « récolte de pluie » constituent des approches de faible valeur technologique, simples mais sous-utilisées face au changement climatique. L’AASR relève que la collecte de 15 % des eaux de pluie de la région serait largement suffisante pour répondre aux besoins en eau sur le continent.

• Mécanisation intelligente face au climat. En Afrique subsaharienne, l’équipement motorisé ne fournit que 10 % de l’énergie utilisée dans les exploitations agricoles, contre 50 % dans d’autres régions. La mécanisation peut améliorer la productivité et l’efficacité de l’utilisation des nutriments, réduire les déchets et valoriser la production alimentaire. Mais les scientifiques estiment que les progrès dans ce domaine doivent se fonder sur les innovations dans l’efficacité énergétique, dont l’utilisation d’énergies alternatives comme les pompes d’irrigation solaires, et être soutenus par de meilleures formations et des services de réparation, ainsi que par des organisations d’agriculteurs fortes.

Outre le changement climatique, l’AASR attire l’attention sur d’autres tendances majeures néfastes pour la sécurité alimentaire et la production agricole : croissance démographique rapide, urbanisation, utilisation non durable des terres et disparités entre les sexes. Ces tendances se répercutent sur les revenus des foyers, les frais alimentaires, les niveaux de pauvreté, la santé, les conflits sur les ressources naturelles et les inégalités sociales croissantes.

« Une agriculture plus productive, plus résiliente et faiblement émettrice de carbone nécessite un changement majeur dans notre façon de gérer les terres, l’eau, les nutriments et les ressources génétiques », explique le Dr Ademola Braimoh, de la Banque mondiale. « Cette publication souligne les changement de politiques et de mécanismes institutionnels et financiers nécessaires à une véritable transition vers une agriculture intelligente face au climat. »

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À propos de l’AGRA : L’AGRA est un partenariat dynamique qui œuvre sur tout le continent africain pour aider des millions de petits exploitants agricoles et leurs familles à échapper à la pauvreté et la faim. Les programmes de l’AGRA développent des solutions pratiques pour dynamiser la productivité agricole et les revenus des pauvres dans le respect de l’environnement. L’AGRA plaide pour des politiques qui soutiennent ses actions à travers tous les éléments clés de la chaîne de valeur agricole africaine : des semences à la qualité des sols et de l’eau, aux marchés et à l’enseignement agricole. L’AGRA travaille en Afrique subsaharienne et a son siège à Nairobi (Kenya), un bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest à Accra (Ghana), et des bureaux locaux au Mali, au Mozambique et en Tanzanie. Pour en savoir plus visiter le site web d’AGRA : www.agra.org.

Le Forum sur la révolution verte en Afrique (AGRF) est une initiative visant à rassembler des chefs d’État africains, des ministres, des agriculteurs, des entreprises agroalimentaires du secteur privé, des institutions financières, des ONG, la société civile, des scientifiques et autres parties prenantes pour discuter et élaborer des programmes d’investissement concrets en vue de réaliser la révolution verte en Afrique. Le Forum portera sur la promotion des investissements et le soutien des politiques visant à améliorer de façon écologiquement durable la productivité agricole et les revenus des agriculteurs africains.

Le Forum repose sur les engagements continus des parties prenantes et sur de grands événements au cours desquels les participants examinent les progrès réalisés et élaborent des stratégies. Le premier grand événement du Forum fut une convention internationale organisée à Accra, au Ghana, en 2010. Le second s’est tenu à Arusha, en Tanzanie, en 2012, et le troisième à Maputo, au Mozambique, en 2013.

Le Groupe des partenaires de l’AGRF comprend la Banque africaine de développement, l’Union africaine, l’Alliance pour la Révolution Verte en Afrique (AGRA), l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le Fonds international de développement agricole (IFAD), la Fondation Rockefeller, la Confédération des syndicats agricoles d’Afrique australe, Syngenta International, AGCO Corporation ; et Yara International.

L’AGRF 2014 offre une occasion unique de rassembler 1000 dirigeants d’associations d’agriculteurs, d’entreprises agroalimentaires, d’instituts de recherche, d’organisations de jeunes et de femmes et de gouvernements africains afin de discuter de la nouvelle vision pour l’agriculture et la sécurité alimentaire adoptée par les chefs d’État africains dans la Déclaration de Malabo en juin 2014.

Le thème de l’AGRF 2014 est : « Au-delà du seuil critique : une vision et des stratégies nouvelles pour une transformation inclusive et durable ». L’AGRF 2014 soulignera les problématiques de l’augmentation de la productivité alimentaire et de l’éradication de la faim, de l’adaptation de l’agriculture au changement climatique et de la croissance agricole inclusive et durable. Il abordera les transformations nécessaires au niveau de la recherche et de la technologie, des marchés de denrées de base et du commerce, et de l’augmentation du financement dans le développement agricole.

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