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Conférence-débat du Forum Civique à l’espace Kora-films : Amadou Djicoroni plaide pour l’avènement d’une quatrième République au Mali
jeudi 5 décembre 2013, par
Conférence-débat du Forum Civique à l’espace Kora-films : Amadou Djicoroni plaide pour l’avènement d’une quatrième République au Mali
Depuis plusieurs mois, le Mali traverse une profonde crise politique, institutionnelle et sécuritaire (Coup d’Etat, rébellions armées, trafics de drogue, instauration de la Charia), qui a conduit à la faillite de l’Etat, à son effondrement total, voire même à la remise en cause des fondements de la nation en tant qu’entité territoriale, historique et humaine. Malgré la tenue de l’élection présidentielle, suivie des élections législatives, et malgré la tenue du Forum sur la décentralisation et les Assises nationales sur le Nord, le Mali est loin d’une sortie de crise. Les implications sous-régionales, africaines et internationales de cette crise multidimensionnelle et les enjeux géopolitiques et géostratégiques qui la sous-tendent rendent difficiles une solution politique nationale conforme aux intérêts et aspirations profondes de l’immense majorité des maliens qui aspirent au changement et à une véritable démocratie. Les maliens veulent un Etat nouveau, restructuré et assaini dans tous ses démembrements, de nouvelles institutions républicaines au service des populations, des hommes et des femmes nouveaux totalement acquis au changement, la révision des Textes fondamentaux (Constitution, Charte des Partis, Code électorale…), la résolution de la crise du Nord, l’école, la moralisation de la vie publique… Face à ces défis énormes, le Forum Civique, a organisé le 16 novembre 2013 une conférence-débat dont le Thème portait sur : « Le Mali, une démocratie à refonder ? ». Le conférencier n’était autre que le doyen Amadou Seydou Traoré dit Amadou Djicoroni, ancien dirigeant de l’Union Soudanaise-RDA, écrivain, éditeur, analyste politique et acteur du mouvement démocratique malien.
C’est dans un accent plein de sincérité que le doyen Amadou Seydou Traoré dit Amadou Djicoroni, dirigeant historique de l’Union Soudanaise-RDA, écrivain, éditeur et essayiste politique s’est adressé à l’assistance, en analysant le parcours démocratique de notre pays. Sans détours, il exhorte notre pays « à aller vers le mieux avec des garanties certaines, car, nous nous sommes trompés en 1992, en 2002 et en 2012. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il est urgent d’éliminer les causes de nos malheurs en procédant à l’examen critique et sans complaisance de notre parcours national dans tous ses aspects ».
Au constat, Amadou Seydou Traoré décrit une démocratie gangrenée par l’affairisme de l’Etat, la corruption, les malversations financières et la misère des masses. Selon lui, il est impératif d’aller vers une 4e République dans une harmonie nationale fondée sur le socle de la vérité au service de l’engagement patriotique. S’appuyant sur les débats qui agitent les milieux politiques en France, il citera Jack Lang l’ancien ministre français de la culture selon lequel : « La démocratie française est à bout de souffle. Elle est asphyxiée. Elle crève d’un mal qui n’est pas nouveau mais qui, rarement dans notre histoire, n’avait été aussi profond : l’absence d’équilibre des pouvoirs. Un comble au Pays de Montesquieu ».
Et Arnaud de Montebourg, cet autre dirigeant français de renchérir : « La Ve République a installé un système dangereux car à la fois autoritaire et impuissant. Pas de lieu de débat, pas de lieu de compromis, l’irresponsabilité à tous les étages, et l’impossibilité pour les citoyens de se faire entendre. Tout cela nourrit la démagogie et le populisme. La gauche doit proposer la République nouvelle ». Or, selon le conférencier, le régime présidentiel du Mali et de la plupart des pays francophones d’Afrique n’en sont qu’une pâle photocopie de celui de la France. Et par le fait du « copier-coller constitutionnel », les présidents africains sont infectés par le même virus.
S’agissant du Mali, Amadou Seydou Traoré est convaincu que la crise que nous vivons résulte essentiellement de la démarche adoptée pour analyser et résoudre nos problèmes d’aujourd’hui, démarche faite de transposition de recettes et de formules ayant été jugées inefficaces ailleurs. « Cette démarche est une grave erreur de conception et d’organisation, une faute stratégique » a-t-il martelé. Au passage, il instruira le procès du lettré africain plus « européen que l’européen » qui est à la base de la liquidation des richesses matérielles et culturelles de notre pays.
Autres critiques portées à notre système démocratique par le conférencier : la pléthore d’instituions qui constituent un véritable fardeau pour le budget de l’Etat. Une étude de l’évolution du coût de fonctionnement de nos institutions de 1996 à 2005 a permis d’établir que plus de 32 milliards de FCFA ont été dépensés, que la présidence de la République est passée de 2,617 milliards en 1996 à 10, 835 milliards de FCFA en 2005. La Primature est passée de 1,426 milliards de FCFA en 1996 à 11,20 milliards. Quant à l’Assemblée Nationale, elle est passée de 1,476 milliards de FCFA à 6,798 milliards en 2005. Dans la répartition des crédits aux différentes institutions de l’Etat pour la période de l’année 2005 par exemple, le pouvoir exécutif s’est taillé la part du lion avec 68%, suivi du législatif 26% tandis que le judiciaire sa taille la portion congrue 6%. De quoi poussé le conférencier a recommandé la suppression du Haut Conseil des Collectivités Territoriales et du Conseil Economique Social et Culturel et le transfert de leur mission à l’Assemblée Nationale. Quid de la Cour Constitutionnelle et le transfert de ses missions à la Section Constitutionnelle de la Cour Suprême.
Au niveau du pouvoir Exécutif, Amadou Seydou Traoré plaide pour la suppression du poste de Premier-Ministre pour éviter le scenario d’une cohabitation chaotique suivi d’un putsch (allusion à l’exemple nigérien avec le Coup d’Etat d’Ibrahim Barre Maïnassara en 1996). Il soulignera également le pouvoir exorbitant du Président de la République qui crée un déséquilibre structurel dans le fonctionnement des institutions. Il suggère donc une réduction des pouvoirs du Président de la République à travers l’abrogation du pouvoir de dissolution de l’Assemblée Nationale à l’exemple de la constitution du Benin du 11 décembre 1990 et de celle de la Côte-d’Ivoire du 24 mai 2000 ; la fixation d’un nombre maximum de portefeuilles ministériels comme au Ghana où la constitution du 15 mai 1992 l’a bien explicité. En outre, il recommande que le choix de la majorité soit fait parmi les députés en référence à la constitution du Ghana et de celle de l’Afrique du Sud ; que les nominations aux hautes fonctions de l’Etat soient approuvées par l’Assemblée Nationale comme aux Etats-Unis et que le doyen d’âge des magistrats soit désigné comme Président du Conseil Supérieur de la Magistrature.
Une autre tare de notre système démocratique réside dans l’exclusion totale des populations de la vie politique à cause de l’officialisation de la langue française. Pour y mettre fin, le conférencier recommande la révision de la Constitution de 1992 pour officialiser nos langues nationales à l’instar de nombreux pays comme l’Inde qui a fait du hindi une langue officielle et de l’anglais une langue « associée », l’Afrique du Sud dont la constitution a officialisé neuf langues nationales et les deux langues étrangères à savoir l’anglais et l’Africaner.
Dans le domaine de la moralisation de la vie publique, le conférencier plaide pour la mise en place de critères sévères et complets dans le choix des candidats à la députation afin d’exclure les « aventuriers qui veulent accéder aux mandats sans aucun engagement, sans aucune référence, sans aucun programme et en piétinant toutes les valeurs morales, sociales et culturelles ». Aussi, il a dénoncé les campagnes électorales dispendieuses et au contenu souvent malpropre et dangereux. D’ailleurs, le conférencier estime que notre pays peut faire l’économie des orgies financières, des débauches d’énergie inutiles en tirant positivement l’expérience de nombreux pays qui n’organisent pas d’élections présidentielles au suffrage universel direct comme l’Angleterre, l’Allemagne, la Norvège, le Japon, l’Inde, la Chine, le Maroc, l’Afrique du Sud, le Canada. Et dans aucun de ces pays on n’a assisté à des conflits postélectoraux a –t-il fait remarquer. Dans le cas du Mali, on constate une surcharge et un manque de fiabilité des listes électorales, la multiplicité des structures qui interviennent dans le processus électoral (Direction Générale aux Elections, Commission Electorale Nationale Indépendante, Ministère de l’Administration Territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités Locales). Pire, les consultations électorales sont trop coûteuses. Entre 1997 et 1999, elles ont été évaluées à 17 milliards de FCFA ; entre 2002 et 2004, elles étaient de 25 milliards de FCFA. Pour cette année 2013, elles sont évaluées à 65 milliards de FCFA !
Le conférencier propose le passage au système de l’inscription volontaire avec présentation d’une pièce d’identification, l’informatisation du fichier électoral, l’affectation de l’ensemble des opérations à l’administration territoriale et la responsabilisation des partis politiques pour exercer un contrôle sur le processus électoral. Egalement, il propose la suppression de l’élection du Président de la République au suffrage universel et un retour à la constitution de 1960, qui, dans ses dispositions, donne à l’Assemblée Nationale la prérogative d’élire le Président de la République. Concernant les élections communales et législatives, il préconise la suppression du financement public des partis, la fixation de critères plus rigoureux pour leur reconnaissance officielle comme le niveau d’implantation dans chacune des régions administratives, la publication de leur programme ou projet de société dans au moins trois langues nationales.
Enfin, Amadou Seydou Traoré n’a pas manqué de fustiger l’absence d’alternance au niveau de la direction des partis politiques. Pour lui, il faut instaurer la limitation du nombre de mandats pour le chef de parti. S’agissant du statut de l’opposition, il relève sa faible visibilité dans l’espace politique national. Une situation à laquelle il faut trouver une solution efficace à travers un statut de l’opposition digne de ce nom.
En concluant son intervention, Amadou Seydou Traoré a souligné que la poursuite et la pérennisation de l’expérience démocratique requiert une refondation de l’armature institutionnelle qui sous-tend notre système démocratique, l’ancrage d’une culture démocratique, la moralisation de la vie publique, l’amélioration des conditions de vie des populations maliennes.
Nouhoum Keita