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Comment Idriss Déby fait plier la France ?

vendredi 12 août 2016, par Assane Koné

C’est la preuve irréfutable de la haute estime dans laquelle la France tient le président tchadien : le ministre français de la Défense Jean-Yves Le Drian a interrompu ses vacances estivales pour assister lundi 8 août à N’Djamena à l’investiture, en grandes pompes, d’Idriss Déby Itno pour un nouveau mandat de cinq ans. Mais à bien y regarder, les relations entre le président tchadien et son homologue français, François Hollande, n’ont pas toujours été excellentes.
On peut même affirmer que les rapports entre les deux chefs d’Etat ont été exécrables en 2012, au tout début du quinquennat de M. Hollande. Le président français, qui tenait encore à rester fidèle à sa promesse de campagne faite au Bourget, près de Paris, de « démanteler la Françafrique », se méfiait à son entrée à l’Elysée de ses homologues africains usés par leur longévité. Arrivé au pouvoir en décembre 1990 à la faveur de l’éviction de son prédécesseur Hissène Habré, Idriss Déby Itno faisait alors naturellement partie des parias à l’Elysée.

Après avoir accepté de recevoir le président tchadien, au terme d’un lobbying intense, François Hollande a fini par déprogrammer l’entrevue à quelques semaines du 14e Sommet de la Francophonie prévu fin novembre 2012 à Kinshasa. Piqué au vif, Idriss Déby Itno décide, en représailles, de ne pas se rendre à la grand-messe du monde francophone dans la capitale congolaise. Et comme pour mieux manifester son mécontentement, le chef de l’Etat tchadien choisit la période du Sommet pour effectuer une visite de travail en Afrique du Sud.

Il marque, à son retour du pays de Nelson Mandela, une escale à Kinshasa d’où venaient de repartir ses pairs du monde francophone, mais où il retrouve toutefois le président congolais Joseph Kabila, lui aussi, remonté à bloc contre François Hollande et « ses leçons de démocratie ». Entre Déby Itno et Hollande la rupture semblait alors consommée.

Sorti de la promotion 1986 de l’Ecole de guerre de Paris, le chef de l’Etat tchadien, que même ses adversaires politiques décrivent comme un redoutable guerrier, compte en France de solides amitiés dans les milieux militaires et à la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Tout ce monde-là ne rêvait alors que d’une seule chose : remettre en selle leur filleul auprès de François Hollande. La décision du président français de lancer en janvier 2013 l’opération militaire Serval pour débarrasser le Mali des groupes djihadistes va leur en donner l’occasion.

A N’Djamena, le lobby militaire français réussit à convaincre Déby Itno de s’engager militairement au Mali aux côtés des forces françaises et des autres troupes africaines. Le chef de l’Etat tchadien, qui fleure la bonne affaire, décide d’y dépêcher des troupes d’élite lourdement armées avec comme Commandant en second son propre fils, le général Mahamat Déby Itno. La première manche est ainsi gagnée.

A Paris aussi, la manœuvre se poursuit auprès de François Hollande pour vanter l’engagement militaire décisif tchadien. Les lobbyistes pro-Déby Itno trouvent ainsi une oreille attentive auprès du général Benoît Puga, à l’époque chef d’état-major particulier du président français, de l’Amiral Edouard Guillaud, chef d’état-major des armées françaises et du général Didier Castres, sous-chef d’etat-major Opérations.

Distingués pour leurs engagements aux combats sur le champ de bataille, les militaires tchadiens sont choisis par l’armée française pour l’opération de « nettoyage » des montagnes des Ifoghas. Suivant le schéma tactique convenu, les français prennent le flanc ouest, les Tchadiens le flanc est avec pour objectif une jonction au centre. L’armée tchadienne s’acquitte de son mandat avec efficacité et rapidité. C’est le triomphe pour Déby Itno.

Retournement de situation

Plus rien ne sera dès lors comme avant pour le président tchadien. Le paria du début du quinquennat accéde ainsi au statut d’allié stratégique et incontournable de la lutte contre le terrorisme au Sahel. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les militaires français ont choisi N’Djamena pour y installer le quartier général de l’opération Barkhane, héritière de Serval mais élargie à la lutte contre les groupes djihadistes dans toute la bande sahélo-saharienne.

La crise centrafricaine va par ailleurs donner à Déby Itno une nouvelle occasion de conforter sa position d’interlocuteur incontournable de la France.

Connaissant l’influence du Tchad sur les rebelles de la Séléka, c’est en effet par Idriss Déby Itno que Paris passe pour obtenir en janvier 2014 la démission du président Michel Djotodia du pouvoir et la mise en place d’une transition à Bangui.

Comme le souligne avec justesse, notre confrère Christophe Boisbouvier de RFI dans son ouvrage Hollande, l’Africain (La Découverte, octobre 2015), cette nouvelle conjoncture va consacrer le leadership des militaires dans la gestion des relations entre la France et les pays d’Afrique subsaharienne, dont le Tchad d’Idriss Déby Itno.

Derrière l’alliance stratégique entre Déby et la France dans la lutte contre le terrorisme, l’opposition tchadienne pointe du doigt le « renoncement total » de Paris à soutenir la défense de la démocratie et des droits de l’homme au Tchad.

Elle cite, pour étayer ce constat, le profil bas affiché par la France lors de la présidentielle controversée du 10 avril, tout comme son silence lors de l’incarcération de plusieurs figures de la société civile tchadienne à la veille du scrutin présidentiel.

Myopie française

D’autres événements sont venus conforter les opposants tchadiens dans le sentiment que l’Elysée et le Quai d’Orsay ont choisi de passer la démocratie et les droits de l’homme par pertes et profits pour ménager Idriss Déby Itno.

Il y a d’abord eu l’expulsion manu militari du Tchad en juin 2015 du journaliste de RFI Laurent Correau. L’ambassadrice de France au Tchad, Evelyne Decorps, avait été physiquement empêchée à l’époque d’accéder à notre confrère à l’aéroport international de N’Djamena, sans que la France ne lève le petit doigt. La diplomatie française avait manifesté ensuite la même désertion lorsque le jeune écrivain français de 25 ans, Thomas Dietrich, a lui aussi été expulsé, en avril 2016, par la force du territoire tchadien.

Le dossier des militaires tchadiens disparus après la dernière présidentielle pour n’avoir pas voté pour Idriss Déby Itno est cité comme preuve supplémentaire de la complaisance de Paris envers son allié dans la lutte contre le terrorisme. Pour les opposants et les proches des militaires présumés disparus, l’attitude de la France est d’autant plus incompréhensible que certains d’entre eux travaillaient directement avec des éléments de Barkhane.

« De passage à N’Djamena,Jean-Yves Le Drian a posé la question sur le sort des militaires à Déby qui lui a répondu qu’ils étaient en mission, se défend une source en charge de l’Afrique à l’Elysée. Nous en avons pris acte. »

C’est justement cette prudence qui fait dire à l’opposition tchadienne que la France n’est plus neutre au Tchad et qu’elle a tourné le dos à la défense de la démocratie et des droits de l’homme au profit de Déby Itno, le paria du début du quinquennat, devenu allié stratégique dans la lutte contre le terrorisme.

Seidik Abba, journaliste et écrivain, auteur de « Rébellion touarègue au Niger. Qui a tué le rebelle Mano Dayak ? », l’Harmattan, 2010.

http://www.lemonde.fr/afrique


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