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Mahamadou Issoufou, President du Niger : « Il faut un seul Mali, il n’y a donc pas de raison que des mouvements armés continuent d’occuper une parcelle du territoire »

vendredi 29 novembre 2013, par Assane Koné

Président de la République du Niger depuis le 7 avril 2011, Mahamadou Issoufou a été l’un des artisans de la libération, le 29 octobre, des quatre otages enlevés à Arlit. Actuellement engagé dans une négociation avec Areva pour obtenir de meilleures retombées financières pour son pays, il est l’un des premiers alliés de la France dans la lutte contre les groupes djihadistes au nord du Mali.

Quelle a été la compensation versée aux ravisseurs en contrepartie de la libération des quatre otages français enlevés à Arlit ?

Je dois dire d’abord que le Niger est heureux d’avoir contribué à la libération de ces personnes enlevées sur notre sol en septembre 2010. Nous nous étions fait un devoir de tout mettre en œuvre pour les libérer. La négociation a été très difficile mais aussi surprenant que cela puisse paraître, il n’y a pas eu de rançon. Il n’y a pas eu non plus de libérations de prisonniers liés à AQMI . Pour obtenir ce résultat, nous avons utilisé des arguments que je ne peux pas exposer sur la place publique.

Vous avez plusieurs fois déclaré que les 100 millions d’euros versés annuellement par Areva au Niger sont insuffisants. Est-ce que Paris a fait un geste pour vous remercier alors que vous êtes en pleine renégociation du contrat qui vous lie au géant français du nucléaire ?

Il n’y a pas de lien entre ces dossiers. Nous n’avons pas mis la libération des otages dans la balance. Nous n’attendions aucune contrepartie car pour nous cette libération était un devoir.

Vous avez rencontré lundi matin Luc Oursel, le PDG d’Areva. Où en est la renégociation du contrat qui lie le Niger avec l’entreprise ? Les cours de l’uranium étant assez bas, avez-vous pu réviser la fiscalité à la hausse ?
Nous sommes conscients que le marché de l’uranium connaît une dépression mais nous pensons que l’ensemble de nos partenaires, français, japonais ou espagnols savent également que le Niger doit avoir de meilleures retombées. Aujourd’hui, notre objectif, c’est de réviser les conventions dans le nouveau cadre légal défini en 2006.

Pourquoi ne pas rendre public l’audit réalisé sur le secteur comme vous le demande l’ONG Oxfam ?

C’est un document interne aux sociétés et aux actionnaires pour voir dans quelle mesure les nouvelles conditions fiscales définies par la loi de 2006 peuvent être supportables aux sociétés minières. Il n’y a pas de raison de le rendre public d’autant qu’il y a des compléments d’étude encore à effectuer car il porte sur les coûts de production à partir de 2007.

Y a t-il eu des avancées sur le dossier de la mine d’Imouraren, dont vous attendez toujours la mise en exploitation ?

Les travaux préparatoires pour la mise en exploitation sont en cours et nous sommes convenus avec nos partenaires qu’elle commencera à produire fin 2015, début 2016. Ce chronogramme a été confirmé ce matin [lundi 25 novembre] avec le président d’Areva.

Le 6 décembre, vous serez à Paris pour le sommet de l’Elysée consacré à la sécurité en Afrique. L’intervention française au Mali et celle qui se prépare en Centrafrique ne marquent-elles pas un échec des pays africains à assurer leur propre sécurité ?

Oui, les pays africains ont du mal à assurer leur propre sécurité. Il faut que nous mutualisions davantage nos moyens de renseignement, que nous renforcions nos capacités de défense pour que cinquante ans après nos indépendances, nous puissions rapidement arrêter la sous-traitance de notre sécurité. Cette intervention française au Mali sonne pour nous comme un avertissement. Malheureusement, les institutions financières internationales nous ont poussés à réduire nos budgets de défense et de sécurité lors des programmes d’ajustement structurels. Nous payons aujourd’hui cette erreur.

Le Niger a été la cible d’attaques djihadistes. Avez-vous les moyens d’assurer votre sécurité ?

Les situations en Libye, au Mali et au Nigeria ne sont pas favorables à la sécurité du Niger qui, dans ce contexte sahélo-saharien, est un îlot de stabilité. Les menaces sont toujours présentes mais notre travail a payé pour limiter les conséquences de la crise libyenne qui a eu des effets beaucoup plus grands au Mali. Nous allons maintenir ce travail car nous occupons une place centrale au Sahel. Nous sommes un verrou très important et je souhaite que tous nos partenaires en soient conscients. Si on arrive, au Niger, à fermer les points de passage entre le Mali et la Libye, où il n’y a pas eu de service après-vente après la chute de Kadhafi, nous aurons gagné une bataille décisive pour sécuriser le Sahel. Mais la vraie réponse, c’est le développement.

Au Mali, la zone de Kidal demeure la principale poche d’instabilité. Vous pensez que la France n’aurait pas dû faire un cas particulier de cette zone ?

Le problème, c’est qu’il y a toujours des mouvements armés, comme le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), qu’il fallait désarmer dès le départ. On ne peut avoir deux armées sur un même territoire. L’Etat malien doit avoir le monopole de la violence. Il faut un seul Mali, il n’y a donc pas de raison que des mouvements armés continuent d’occuper une parcelle du territoire.

Lors des élections législatives au Mali, plusieurs candidats du parti au pouvoir dans le nord du pays étaient d’anciens membres de groupes islamistes ayant accepté de désarmer. Qu’en pensez-vous ?

Cela fait partie des solutions pour normaliser la situation. Avec la démocratie, on donne d’autres moyens d’expression aux citoyens que les armes. Il faut donc leur offrir la possibilité de s’insérer dans la vie politique. C’est une bonne solution.

Fin octobre, le Niger a vécu un nouveau drame de l’émigration : 92 corps, dont une majorité d’enfants, ont été retrouvés dans le désert. Que faudrait-il faire pour éviter que cela ne se répète ?

Le problème est très profond. La pauvreté pousse des Nigériens à émigrer et autour de cela un trafic s’est créé. Nous essayons de lutter contre ces organisations criminelles mais la seule solution, c’est le développement. Dans nos discussions avec l’Union européenne, celle-ci met l’accent sur la nécessité de libéraliser les marchés de capitaux, les marchés des biens et des services, mais nous n’en tirons aucun avantage. Il faudrait briser un tabou et libéraliser le marché du travail. On pourrait alors mettre fin à ces réseaux de trafic d’êtres humains. C’est difficile à imaginer pour les pays européens, mais c’est un débat que je veux porter. Je ne me fais pas d’illusion, mais je ne peux pas ne pas interpeller les Européens sur cette question.

Vous venez de surmonter votre première crise politique. Votre gouvernement a obtenu un vote de confiance au Parlement après que vous avez échoué à former un gouvernement d’union nationale. Pourquoi avoir voulu former un tel gouvernement quand la démocratie fonctionne ? N’est ce pas pour limiter le poids de l’opposition qui vous accuse aujourd’hui d’avoir racheté certains députés ?

Non. La seul chose dont je me réjouis est que le Niger a une démocratie dynamique. J’ai essayé de mettre en place un gouvernement d’union nationale. Malheureusement, je n’ai pas été entendu par toutes les forces politiques mais un gouvernement de large ouverture a été mis en place. Le Niger est un pays en transition démocratique qui a connu beaucoup de situations d’instabilité et vu les problèmes de sécurité que nous rencontrons, je me suis dit qu’il fallait élaborer le consensus le plus large possible.

Ce type de situation n’est pas propre à nos pays. Dans certains pays où la démocratie est plus avancée, si le peuple n’arbitre pas une élection de façon très claire, on peut aller vers un gouvernement de coalition comme en Allemagne, en Italie ou en Grèce. Lors de nos prochaines élections, dans deux ans et demi, le peuple aura une nouvelle fois à arbitrer entre nous.

Que pensez-vous de la fronde menée par un certain nombre de chefs d’Etat africains contre la Cour pénale internationale ?

Je ne parlerais pas de fronde mais si l’on prend le cas kényan, Uhuru Kenyatta était poursuivi avant d’être président, mais le peuple l’a élu. Par exemple, en France, un président n’est pas poursuivi pendant l’exercice de ses fonctions, mais il peut l’être après. On pourrait envisager la même solution pour les chefs d’Etat africains.

LE MONDE | 27.11.2013
recueillis par Cyril Bensimon

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