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La sécurité des journalistes au Mali, un défi quotidien dans un pays en pleine reconstruction

mercredi 3 août 2016, par Assane Koné

En 2010, deux ans avant le coup d’état et l’occupation du Nord du pays par des groupes extrémistes, la situation des journalistes maliens était jugée "plutôt bonne." Avec la crise sécuritaire qui secoue le pays depuis maintenant quatre ans, la situation s’est considérablement dégradée et les atteintes aux libertés de la presse se sont multipliées.

Un an après la signature de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali, les atteintes sont moins sévères, mais le nord du pays demeure une zone extrêmement dangereuse pour les journalistes où il s’avère très difficile d’exercer leur métier. C’est dans ce contexte, que l’UNESCO, en partenariat avec le Ministère de la Sécurité et de la Protection Civile et de l’EUCAP Sahel vient d’organiser deux sessions d’atelier de formation visant à renforcer les compétences des forces de sécurité maliennes pour garantir le droit des citoyens à la liberté d’expression et d’information, en améliorant la sécurité des journalistes à l’Ecole de Maintien de la Paix de Bamako (du 13 au 18 juin 2016).

« Travailler avec les journalistes aujourd’hui est plus que nécessaire », confie le Commandant Mohamed Issa Ouédraogo, chef de la Division des relations publiques de la DIRPA et qui a assisté à l’atelier. Ce dernier a notamment servi sur le théâtre des opérations dans le nord du Mali avant d’intégrer le service de communication de l’armée. Il explique que les journalistes viennent fréquemment les solliciter mais « ce n’est pas toujours facile car les journalistes sont très pressés alors que nous avons, de notre côté, des contraintes ».

Comme le résume très bien l’un des formateurs, le Commandant Ian Lafrenière, expert canadien auprès de l’UNESCO et membre de la police de Montréal, « il existe une grande proximité entre la mission des journalistes et celle des forces de défense et de sécurité mais leurs chemins diffèrent ». Et de poursuivre, « la différence entre nous, c’est lorsque nous devons faire usage de ce que nous découvrons ». C’est ainsi que des journalistes étaient invités le dernier jour de chacune des sessions, à échanger avec les membres des forces de défense et de sécurité pour tenter de mieux comprendre et prendre en compte leurs contraintes de travail respectives.

Ramata Diaouré est une figure incontournable de la presse malienne. Journaliste et formatrice, elle est également membre du comité des experts de la maison de la presse du Mali. Elle a répondu à l’invitation de l’UNESCO et s’est joint aux stagiaires le dernier jour de l’atelier pour échanger avec les forces de sécurité. « Pendant la crise on a pas toujours pu travailler comme on voulait » confie-t-elle, tout en concédant qu’il n’y a pas « objectivement, de gros freins ». Elle déplore néanmoins une certaine méconnaissance des textes de lois qui régissent la profession qui peut entraîner de la méfiance de part et d’autre. Cet atelier, qui a reçu un soutien technique du Royaume de Norvège, a donné lieu à des échanges parfois houleux mais aussi fructueux entre les journalistes et les forces de sécurité. A l’issue de ces échanges, Ramata Diaouré exprime quelques recommandations qui pourraient contribuer à l’amélioration du climat de confiance. « Si les forces de sécurité et les journalistes se rencontraient plus souvent, les gens se connaitraient mieux et cela lèverait certaines suspicions » explique-t-elle. Pour cette journaliste aguerrie, « il faut que chacun garantisse à l’autre la liberté d’exercer sa profession ». Concrètement, elle suggère de réinstaurer les « portes ouvertes » dans les postes et commissariats de police pour voir comment se passe le travail au quotidien.

Lors de la clôture de cet atelier, Sasha Rubel Diamanka, Conseillère Régionale pour la Communication et l’Information au bureau de l’UNESCO à Dakar a rappelé que cet atelier s’inscrivait dans le cadre du Plan d’Action des Nations Unies pour la sécurité des journalistes et la question de l’impunité et de la Déclaration de Carthage adoptés en 2012. La Déclaration de Carthage appelle spécifiquement les États membres de l’UNESCO à former les forces de sécurité à interagir positivement avec les professionnels des médias, en particulier lors de manifestations pacifiques et des protestations civiques.

Selon le commandant Fatoumata B. Coulibaly, de la Protection civile, il est indispensable « d’établir des relations gagnant-gagnant entre journalistes et forces de sécurité surtout dans le contexte sécuritaire du Mali ». Depuis 2015, les attaques terroristes se sont multipliées dans le pays et la capitale malienne n’a pas été épargnée puisqu’elle a été la cible de trois attentats (La Terrasse, Hôtel Radisson, EUTM). Couvrir ce genre d’évènements s’avère très délicat pour un journaliste. « L’accès aux sources d’information est généralement difficile » explique Mariam Kamba Keita, journaliste aux studios Tamani. Et face à cette difficulté d’accès aux informations auprès des forces de sécurité, les journalistes se tournent à défaut vers des sources d’information moins fiables.

Le sergent Kali Diakité, chargé de communication à la Direction de la police explique que de réels efforts ont été faits dans le domaine de la communication au cours des dernières années. Une cellule de communication a été créée pour donner plus de visibilité aux actions et missions de la police qui a également relancé la revue « Gardien de la Paix ». Lors des récentes attaques terroristes qui ont frappé la capitale malienne, le sergent précise qu’un périmètre de sécurité a été mis en place pour limiter l’accès au théâtre des opérations et garantir la sécurité des journalistes. Un policier chargé de communication venait fournir des informations en temps réel aux journalistes qui ont selon lui - apprécié ce geste. Et de conclure, « les journalistes ne sont pas nos adversaires, il faut multiplier ce genre de rencontres ».

Adama Diarra est journaliste au quotidien l’Essor. Il a accompagné le premier convoi de l’armée malienne qui est rentré dans Gao lors de la libération du Nord du Mali en 2013. Intégrer cette mission compliquée et dangereuse était primordial pour ce spécialiste des questions de sécurité et de défense qui tenait à voir de ses propres yeux cet événement historique pour son pays. Mais ce ne fût pas une mince affaire et il obtint l’autorisation qu’après d’âpres négociations, précise-t-il.

En conclusion, Lazare Eloundou, le représentant de l’UNESCO au Mali, a formé le vœu que le dialogue initié lors de ces ateliers se poursuive bien au-delà afin de continuer à faire progresser le climat de confiance entre journalistes et forces de sécurité et de défense.

Ce reportage a été produit avec le soutien de l’UNESCO


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