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Liban : des centaines de Syriennes transformées en esclaves sexuelles

lundi 20 juin 2016, par Assane Koné

Depuis début avril, la police libanaise a démantelé plusieurs réseaux de traite de l’être humain. Plus d’une centaine de jeunes syriennes, soumises aux pires formes d’esclavage sexuel, ont été libérées. Deux d’entre elles racontent l’enfer qu’elles ont vécu.

De notre correspondant à Beyrouth

« Le calvaire commençait tous les jours à 22 heures et durait jusqu’au petit matin. Je devais coucher avec quinze, parfois vingt clients par nuit. Au bout de quelques jours, j’ai arrêté de compter. Au bout de quelques mois, j’ai oublié le visage de ma mère. Je sentais que je n’étais plus un être humain, mais un déchet. »

Deux mois après sa libération d’une maison close de Maameltein, à 22 kilomètres au nord de Beyrouth, Nermine*, une jeune Syrienne de 24 ans, confie faire des cauchemars toutes les nuits. « J’étais obligée d’exécuter tout ce que le client souhaitait : sodomie, fellation, orgie. Si je protestais, si je refusais une relation sans préservatif, ou si le client n’était pas satisfait pour un quelconque prétexte, je recevais des coups de fouet administrés par un gardien ou par le proxénète », raconte la jeune fille, en serrant nerveusement contre sa poitrine un coussinet.

Le récit est insoutenable, digne des pires films d’horreur. Il ne s’agit plus de prostitution mais d’une exploitation, d’un véritable esclavage sexuel, couplé à des sévices corporels, des tortures et, parfois, des mutilations en guise de punition.

Nermine, Raghida, Ibtissam… chacune a son histoire faite de souffrances et de supplices. Elles étaient soixante-quinze jeunes filles, de moins de 30 ans, séquestrées dans deux « hôtels » de Maameltein, le « Silver » et « Chez Maurice ». Aucune n’a choisi de se prostituer de son plein gré. Pressées de quitter leur pays en guerre, sans perspective d’avenir, elles ont été attirées au Liban par des intermédiaires, qui leur promettaient un emploi dans un restaurant, un hôtel, ou un hôpital, certaines croyaient suivre leur « fiancé ». Elles se sont toutes retrouvées dans ces endroits malfamés, forcées à se prostituer.

Même les vierges étaient violées

« Dès notre arrivée à l’hôtel, nous étions privées de nos papiers d’identité puis nous étions violées par les gardiens », raconte Raghida, 21 ans, qui affirme avoir interrompu ses études après la mort de son père, en 2013, pour aider sa mère à subvenir aux besoins de la famille. Les vierges sont réservées au chef du réseau, un Syrien, et à ses amis. Celles qui tentent de résister sont sauvagement battues, isolées du reste du groupe, violées plusieurs fois par jour jusqu’à ce que leur volonté soit brisée. Le « domptage » terminé, commence ensuite la période du travail avec un seul mot d’ordre : « La productivité maximale ».

Les jeunes filles doivent se maquiller, se soigner les ongles, se parfumer, puis attendre dans le salon la venue des clients. « Nous étions obligées de sourire, de faire semblant d’être joyeuses et heureuses. Les clients nous passaient en revue, comme si nous étions une marchandise », se souvient Raghida.

Pour cent mille livres l’heure (60 euros), les filles sont contraintes d’exécuter tous les caprices du client, même les plus répugnants. Toute la somme, ainsi que le pourboire, sont remis aux proxénètes. Les filles sont uniquement nourries et entretenues afin de rester « belles et attirantes ». Elles ne sortent jamais, sauf pour subir un avortement en cas de grossesse. L’une d’elles, qui aurait essayé de s’enfuir, a eu la langue tranchée pour servir d’exemple à celles qui seraient tentées de confier leur histoire à un client.

Cette tragédie inhumaine aurait pu se poursuivre pendant longtemps si quatre filles n’avaient pas réussi à s’enfuir début avril, à l’occasion du vendredi saint catholique. Emmenées au commissariat dans une banlieue de Beyrouth par un chauffeur de minibus, elles ont guidé les policiers vers les deux « hôtels », où elles étaient séquestrées. Soixante-et-onze jeunes filles ont été libérées, et une vingtaine de gardes (hommes et femmes) et proxénètes ont été arrêtés. Prévenu de justesse, le chef du réseau, qui disposait de « couvertures » au sein de la police, a pu s’enfuir. Quatre de ses complices libanais ont été appréhendés.

Deux cents avortements

L’interrogatoire des jeunes filles a permis de dévoiler l’étendue du réseau et la gravité du phénomène. Le médecin, qui aurait pratiqué plus de 200 avortements (les fœtus étaient enterrés dans le jardin de l’hôtel), a été arrêté et radié de l’Ordre des médecins quelques semaines plus tard.

Bien que la prostitution soit sanctionnée par la loi libanaise, aucune des soixante-quinze jeunes filles n’a été poursuivie en justice. Elles ont été considérées comme des victimes et remises à des Associations de prise en charge de victimes d’abus sexuels et de violences corporelles.

Après ce scandale, la police des mœurs a redoublé d’efforts pour traquer les intermédiaires, les proxénètes et fermer les maisons closes. En mai, un réseau a pu être démantelé et une vingtaine de jeunes filles libérées. Dimanche 12 juin, la police a annoncé le démantèlement d’un réseau de prostitution à Safra, non loin de Maameltein. Cinq Syriennes soupçonnées de se livrer à la prostitution ont été arrêtées ainsi que six suspects, quatre Syriens et deux Libanais.

Des sources de sécurité indiquent que le phénomène, qui existe depuis longtemps, a pris une ampleur considérable depuis la guerre en Syrie, qui a fait près de sept millions de réfugiés, dont 1,5 million accueillis au Liban. « Nous pensons que des centaines de jeunes Syriennes, venant de milieux défavorisés, ont été attirées au Liban et transformées en esclaves sexuelles, affirme-t-on de même source. La police des mœurs libanaise n’a ni les effectifs suffisants ni les moyens nécessaires pour lutter contre ce phénomène ».

La mission est d’autant plus difficile que la coopération entre les services de police libanais et syriens a pratiquement cessé, pour des raisons politiques, depuis le début de la guerre.

« J’ai eu la chance d’être libérée de l’enfer. Mais je sais qu’en ce moment même, des centaines de jeunes filles syriennes de mon âge doivent souffrir ce que nous avons vécu. Je ne sais pas si elles auront la même chance… je l’espère », affirme Nermine d’une voix brisée.

* Les noms des jeunes filles citées dans cet article ont été modifiés à leur demande.

Par Paul Khalifeh
http://www.rfi.fr


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