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Fermeture des sites d’orpaillages pendant la période hivernale : La loi est loin d’être pas appliquée

jeudi 31 juillet 2014, par Assane Koné

Des milliers de jeunes ont abandonné les champs au profit de l’orpaillage, menaçant l’agriculture dans plusieurs régions. Il faut donc agir, en fermant les sites pendant la période hivernale. C’est ainsi que les autorités avaient annoncé la décision, en mi-avril. Nous avons visité un site, le week-end dernier afin de nous assurer de l’application des mesures. Nous avons découvert toute une réalité : corruption à ciel ouvert et abus de pouvoir des agents en uniforme. Il faut arrêter le cirque.

Bamako, le 24 juillet 2014. Il est 14h 10 mn quand je sors du taxi pour la gare de Sogoniko. La convocation était fixée à 16h, dans la compagnie de transport Air Koumatou. L’enregistrement a commencé à 16h 5 mn et il était rigoureux. Inscription, pesage de bagages et remise de reçus. Comme à l’accoutumée, les retardateurs se pointent avec des tonnes de sacs. Les convoyeurs marchandent les prix.

16h 40, l’appel est effectué et nous montons à bord. Le chauffeur prend la route. 20 mn plus tard, nous sommes au poste de péage et de pesage de Sanakoroba. Au poste de Senou, l’atmosphère est infernale dans le bus. Des vendeurs de n’importe quoi envahissent le car et nous empêchent même de descendre. Nous réussissons à nous dégager pour prendre la route du Banimotiè, avec Bougouni en ligne de mire.

La nouvelle route qui subit un entretien, il y a de cela 3 ans, a commencé à accueillir des nids de poule. La surcharge, les poids lourds et les excès de vitesse. Nous dépassons le village de Dialakoroba. Puis, nous arrivons à Ouéléssebougou, une heure plus tard. Mon voisin de fauteuil, un élément potentiel. Un orpailleur (c’est lui qui insiste dessus) entame la causerie. Il vit à Ouassoulou. « J’étais venu pour des funérailles à Banconi. J’ai perdu mon neveu » annonce-t-il pour m’informer de l’objet de son voyage. Sa petite fille lui tient compagnie. Curieux, nous nous sommes mis au travail. Même s’il n’était pas au courant de notre mission. Il m’apprend qu’il est un homme assidu et productif dans le secteur minier : « J’ai trois femmes et neuf enfants » claironne-t-il en souriant, et il reviendra l’année prochaine épouser une quatrième si la saison se passe bien. Cela veut dire qu’une bonne saison lui rapporte au moins des millions.

Pourquoi n’investit-il pas cet argent dans un cadre formel ? « Franchement, pense-t-il qu’il y a quelque chose de mieux que d’exploiter l’or dans la clandestinité ? » Quel âge a sa petite fille ? Il l’ignore. Elle va continuer ses études ? Jamais, me répond-il. « Je n’ai pas fait l’école et je suis bien. Nous allons tenter notre chance dans les mines ? » Le monde a changé, mais cela ne l’intéresse point. La fillette s’endort, les pieds sur son grand-père et la tête sur mes jambes. Innocente.

A Kéléya, la nature sauvage reprend ses droits à la sortie. Visiblement, c’est un hivernage radieux qui attend les agriculteurs. La végétation est là, mais squelettique. Après le contrôle au poste, le car reprend la route. La musique est lancée. De vieux tubes de Ouassoulou, du son vraiment nase et un micro qui crache. La « chanteuse », Coumba Sidibé est franchement pourrie. L’ambiance est au comble. Les passagers se découvrent petit à petit. Des conversations s’engagent. En majorité, les compagnons du jour sont Bamakois qui partaient pour la fête de Ramadan au village.

Nous rallions Sido vers 18 h 7. A Sido, un spectacle insolite pour les novices de la route : deux remorques garées en contresens et des individus qui causent en dessous, un véhicule en panne et aucune signalisation pour avertir les autres usagers. Le chauffeur est tranquillement assis en train de placer son cric et il se trouve de surcroît… dans un virage en zigzag. Nous arrivons à Solo dont l’existence semble liée seulement au goudron. La chanteuse continue à cracher dans le haut-parleur et vante les mérites de Banimonotié.

18h36. Nous sommes à l’entrée de Bougouni, au poste de police. Une vingtaine de poids lourds, chargés, sont alignés. En arrière des vendeurs, je vois loin une antenne d’un opérateur téléphonique, ces antennes omniprésentes. Dix minutes plus tard, nous sommes arrivés dans le centre-ville. Et je dois quitter les compagnons du jour pour rejoindre le site à une dizaine de Kilomètres. Compte tenu du contexte, les moyens de déplacement étaient rares. J’étais obligé d’utiliser mon carnet d’adresses. Arrivé au site à Kola, je me suis retrouvé à Bamako. Mais cette fois-ci sans les buildings. Nous étions, complètement étonnés de voir ce coin habité après l’annonce de la suspension depuis le 31 mai.

Mamadou Coulibaly a été notre premier interlocuteur. Un jeune de 33 ans. Selon lui, c’est pour faire autrement la vie. « Les raisons de la ruée des jeunes sur l’orpaillage sont liées aux systèmes de production non adaptés à la réalité socioéconomique du milieu rural. Ils ne permettent pas aux jeunes ruraux de sortir de la pauvreté. Les jeunes ont besoin de revenus que l’agriculture ne leur apporte pas. Actuellement, je suis un soutien de taille pour ma famille. J’ai aidé mes frères à labourer nos champs », dit-il.

M. Coulibaly avait quitté les champs de ses parents en 2010 pour s’installer sur la mine artisanale de Kola. Malgré la volonté des autorités, il se débrouille à subvenir à ses besoins.

Interrogé sur l’arrivée de la mission de contrôle du gouvernement. Mamadou Coulibaly nous rassure que les autorités locales sont les partenaires des orpailleurs. « A chaque annonce, nous sommes informés par les gendarmes en charge de la sécurité. Et nous avons des bonnes relations avec les services locaux », a-t-il déclaré.

Cette hypothèse est du reste partagée par Moussa Guindo, commerçant. « Lorsque le site marche, chacun tire profit. Ce qu’on peut gagner sur une mine d’or est plus important que ce que l’agriculture rapporte. Pour l’installation des hameaux, nous payons la place à 5000 F CFA. Toutes les motos qui circulent ici payent 200 F CFA, le vélo 100 F CFA et les motos-taxis 250F CFA. Ces fonds sont généralement gérés par l’organisation des chasseurs et les forces de l’ordre. Ce qui fait que les autorités locales sont nos complices », s’explique-t-il.

La dizaine de travailleurs interrogés, reconnaissait que les terres cultivables sont dégradées dans la zone d’exploitation de Bougouni. Ce qui fait que Bougouni perd sa place de leader dans la région de Sikasso.

Par ailleurs, ils affirment leur volonté d’élaborer une convention-cadre du secteur permettant à l’or de jouer son rôle dans le développement du pays. « L’or du Mali n’est pas dans le sous-sol, mais dans la surface », déclarent certains.

Mais le moins qu’on puisse dire est que la décision de fermeture des sites d’orpaillages traditionnels est loin d’être appliquée dans sa totalité. Du fait de la pratique peu orthodoxe des forces de l’ordre en charge de la sécurité et des représentants de l’Etat au niveau des communes. Et il faut arrêter la comédie.

Bréhima Sogoba, envoyé spécial

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