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Village de Kôbada : Reportage dans l’univers de l’orpaillage

mardi 22 juillet 2014, par Assane Koné

La cohabitation entre les sociétés minières et les orpailleurs traditionnels sur les sites d’exploitation minière auparavant pacifique à Kôbada est en passe de devenir aujourd’hui un véritable casse-tête. En effet, comme un cheveu tombé dans la soupe, lors d’une mission de surveillance engagée par les éléments de la gendarmerie, le 3 juillet 2014 en application de l’arrêté interministériel interdisant l’orpaillage pendant l’hivernage, un groupe de jeunes orpailleurs en délire en a profité pour s’en prendre au site de la concession d’exploitation de la société minière AGG (African Gold Group) à Kôbada, un village situé à 80 Km de Sélingué. Après la tragédie qui a coûté la vie à deux personnes : un gendarme et un orpailleur, quelle est l’ambiance sur le site d’orpaillage ? Quel est l’état d’âme des populations des villages abritant le site ? Dans quel état se trouve la société minière agressée par les orpailleurs ? Récit d’une descente sur le terrain organisée le samedi 12 juillet 2014 et le lundi 14 juillet 2014.

C’est à 14h 12 précisément, le samedi 12 juillet 2014, que notre véhicule de reportage s’immobilisa en plein cœur du grand fief des orpailleurs à Foroko. Devant nous, la désolation était à son comble. Des tentes calcinées, des boutiques défoncées, des table-bancs cassés et des habits éparpillés et jetés par terre sur le site se consumaient à petit feu. Un silence de mort s’était emparé de Foroko qui pourtant, selon les habitants était une ville très animée.

Un peu devant l’équipe de reportage se tenait une poignée de personnes (à peine 10 orpailleurs) qui tenaient coûte que coûte à observer une distance avec leurs hôtes du jour. Sur leur visage, on pouvait lire la peur et le traumatisme. Pour les rassurer, l’équipe de reportage décide de venir à leur rencontre. Ce n’est qu’après les salutations d’usage et les présentations que certains ont décidé de parler pendant que d’autres se montraient toujours méfiants en gardant leur distance. Et après quelques minutes (5mn environs), nous fûmes surpris de constater que certains orpailleurs s’étaient retranchés dans la brousse quand ils ont vus l’équipe de reportage venir sur le site. Car à la fin de notre entretien, on pouvait en dénombrer plus d’une trentaine de personnes autour de l’équipe.

A en croire Abdou Sangaré, cette attitude des orpailleurs s’explique par le fait qu’ils sont régulièrement matés par les éléments de la gendarmerie depuis l’attaque du 3 juillet 2014 contre la société AGG. Mais, le jeune orpailleur très remonté contre les autorités maliennes qui, selon lui, les empêchent d’obtenir leur gagne-pain, rejette sa participation à l’attaque contre la société canadienne. Pour Fousseyni Coulibaly dont la boutique a été défoncée, pillée et vandalisée, dans la matinée peu avant notre arrivée sur le site, il regrette d’être malien. « Je ne comprends pas que les éléments de la gendarmerie puissent utiliser des armes contre leurs concitoyens », s’indigne M. Coulibaly.

Après 30 minutes d’échanges avec les orpailleurs de Foroko, l’équipe de reportage mit le cap sur le village de Kôbada. A notre arrivée, le chef de village était introuvable. A en croire son frère cadet, depuis quelques jours il a élu domicile dans la brousse fuyant les exactions des éléments de la gendarmerie qui patrouillent régulièrement dans le village pour interpeller les villageois et piller leurs biens.

Quand les forces de l’ordre sèment le désordre

Selon les informations recueillies auprès des villageois, les dégâts perpétrés au cours de la seule fronde sont au-delà du bilan dressé par le ministère des Mines. Ils déplorent également environ plus de 300 millions de pertes et pointent du doigt les éléments de la gendarmerie qui se sont livrés à une véritable chasse aux sorcières après l’attaque de la société.

Selon Sidiki Coulibaly, groupes électrogènes et argent liquide ont été emportés par des éléments de la gendarmerie. Mais, à en croire Lassina Traoré, un orpailleur à Foroko, cette descente musclée des gendarmes trouve ses explications ailleurs et n’a rien à voir ni avec l’attaque de la société AGG ni avec l’exécution de l’arrêté interministériel. « Ils veulent nous forcer à leur payer injustement des taxes qu’ils nous ont imposés et que nous avons refusé de leur verser depuis un moment », a-t-il dit.

Pire, précise un notable du village, ce bilan n’est pas exhaustif car les gendarmes continuent à venir régulièrement vandaliser et piller les biens des villageois. Et dans leur chasse aux sorcières, explique-t-il, ils n’épargnent personne. « Orpailleurs et notables des villages installés autour du site subissent le même sort sans distinction aucune », a-t-il ajouté.

Après Kôbada, l’équipe s’est rendue au village de Nièwiléni dernière étape du périple. A notre arrivée nous fûmes très bien accueillis par le chef de village, un octogénaire, qui s’est montré disponible. C’est finalement son fils Moussa Diawara, conseiller communal à Nièwiléni, qui répondra à nos questions. A en croire M. Diawara, les villageois ont été surpris et écœurés de voir les gendarmes s’attaquer à eux car aucun villageois n’a participé à l’attaque contre la société minière.

Le lundi 14 juillet 2014, la deuxième étape de notre visite de terrain a commencé à Sélingué. Cette fois-ci l’équipe de reportage est escortée par deux pick-up militaires. Mesure de précaution. Car contrairement au premier jour de visite de terrain, l’équipe de reportage est composée des responsables de la société AGG. A l’approche de la délégation sur le site de Fokoko, c’était le sauve-qui-peut et la course vers la brousse.

A notre passage, le site s’était totalement vidé. C’est à 12h 08 que la délégation arriva sur la base de la société AGG. Et le site était quadrillé par les éléments de la gendarmerie nationale armés jusqu’aux dents. D’abord à l’entrée du site, on pouvait apercevoir des carcasses de deux motos calcinées par les assaillants. A l’intérieur du site, le constat était encore plus accablant. Et au regard de l’ampleur des dégâts perpétrés sur le site, les assaillants étaient déterminés à en finir définitivement avec la société.

Un dessein qu’ils ont finalement pu mettre en exécution en mettant le feu sur toutes les installations de la société et en calcinant ses matériels de recherches. Il s’agit entre autres d’une sondeuse d’une valeur de 425 millions de F CFA, une usine pilote de 250 millions de F CFA, des laboratoires et des containers d’échantillons de minerais et des groupes électrogènes, des véhicules, des motos, des climatiseurs, des imprimantes et même la salle d’apprentissage construite par la société pour alphabétiser les villageois a été réduite en lambeaux. Tout est parti en fumée.

Pourtant à en croire le représentant de la société minière AGG, Sékou Konaté, la société a entretenu d’excellente relation avec les villageois et les orpailleurs de 2004 jusqu’en 2011 sur son site. Toutefois, il reconnait que cette bonne relation a pris un coup dur depuis les évènements du nord en 2012 qui ont vu le site envahi par 200 000 à 300 000 orpailleurs venus de la Guinée et du Burkina qui ne font pas de l’orpaillage traditionnel. Selon lui, l’objectif des responsables de la société était de construire sur le site une véritable usine de production à l’horizon 2015 avec plus de 400 employés. Un rêve qui s’envole aujourd’hui, car, regrette-t-il, de 2004 à aujourd’hui, AGG a investi plus 10 milliards de F CFA qui sont tous partis en fumée. Et à l’en croire, les autorités maliennes devront carburer fort pour convaincre les investisseurs à revenir après les douloureux évènements du 3 juillet.

Youssouf Z KEITA
Envoyé spécial
(LE REPUBLICAIN)

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