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Fermeture des Frontières françaises aux maliens, burkinabé et nigériens : Réaction des acteurs culturels maliens réagissent

lundi 18 septembre 2023, par Assane Koné

C’est complètement absurde pour les rapports humains de peuple à peuple. La culture ne doit... être utilisée comme moyen de pression politique. La culture doit...être utilisée pour construire des ponts entre les peuples. Cette décision française est d’une gravité exceptionnelle. Nos autorités ne doivent pas se soumettre à un chantage. On ne peut pas se coucher éternellement sur la natte du voisin. Il faut des actions concrètes pour intégrer le secteur culturel dans les politiques de développement et de construction du nouveau Mali. Et, regard de tout cela, et si la diplomatie culturelle condamnée ? Ce sont-là autant de réactions d’acteurs culturels maliens que nous vous proposons de lire !

Igo Diarra, Directeur de la Galerie Médina à Bamako
« C’est complètement absurde pour les rapports humains de peuple à peuple »

« ... Pour moi, c’est un nom événement, parce que c’est complètement absurde, pour les rapports humains de peuple à peuple. C’est vraiment bien dommage que la France, pays à avant-garde de la promotion de la culture, prenne une telle décision qui sanctionne des acteurs culturels qui n’ont rien à voir avec la sphère des relations politiques.
Par contre pour les financements, comme on dit « un de perdu, dix de retrouver », le monde étant vaste et l’Afrique étant diverse, nous avons une multitude de partenaires qu’on doit activer. Et, tant mieux si cela nous conduit à notre autonomie ou souveraineté culturelle... »

Aly Castro, Opérateur culturel, Manager et Agents d’artistes
« La culture ne doit... être utilisée comme moyen de pression politique. Elle doit...être utilisée pour construire des ponts entre les peuples...« »
 »

« En tant qu’acteur culturel, c est un véritable choc dans le monde des acteurs culturels. Et, en principe, cela n’a pas sa raison d’être. Cette décision, si elle est fondée, est une grave erreur. En aucune manière, les autorités françaises ne doivent faire un amalgame entre les acteurs culturels et les acteurs politiques au Mali, au Niger et à Ouagadougou. Mélanger la culture et politique, est une grave erreur. La culture est un vecteur de paix, de solidarité, de partage, de création et de rapprochement entre les peuples. C’est incompréhensible qu’une telle décision soit prise. J’appelle les autorités politiques françaises à revoir leurs positions vis a vis des acteurs culturels du Mali, du Niger et du Burkina Faso. Il faut donner la chance à un retour à des relations normalisées entre ces pays visés et la France. Et, les acteurs culturels et autres artistes, qui travaillent pour la promotion de la paix et pour un monde beaucoup plus solidaire, doivent pouvoir jouer une rôle dans ce processus. Les politiques ont leurs raisons que nous autres artistes et acteurs culturels ignorons. Donc, comme le dit Tiken Jah Facoly, il serait intéressant qu’ils nous enlèvent dans leur business. Qu’ils soient maliens, nigériens, burkinabé ou français, les artistes et les acteurs culturels, travaillent main dans la main, pour une coopération favorable à un rayonnement culturel. Sans oublier qu’ils sont des milliers d’artistes et d’acteurs culturels qui ont besoin de cette coopération culturelle internationale pour continuer à créer et à exister et à faire exister l’humain. A mon sens, la culture ne doit nullement être utilisée comme un moyen de pression politique. Elle doit plutôt être utilisée pour construire des ponts entre les peuples ».

Hama Goro, Directeur du Centre Soleil d’Afrique de Bamako
« Cette décision française est d’une gravité exceptionnelle »

Je suis étonné de cette décision française. C’est vraiment dommage. Ce n’est pas une bonne décision. L’art et la culture et leurs acteurs qui sont les artistes sont toujours en dehors de la politique politicienne. Ils sont dédiés à une seule politique qui vise la promotion de la paix, de l’union, la cohésion et le vivre ensemble.
Toujours les artistes sont engagés pour la paix, l’unité et l’entente dans le monde. Ils se dressent sans distinction de nationalité contre tout ce qui peut contribuer à la déstabilisation du monde.
Un problème politique entre la France et ses anciennes colonies que sont le Mali, le Niger et le Burkina Faso, qui plus sont des pays francophones, ne devrait pas impacter l’engagement de la France dans la promotion culturelle.
Si malgré les liens culturels et artistiques qui lient les artistes africains francophones à la France et à leurs homologues français, et si malgré les milliers d’Associations collaboratives et des jumelages entre des villes, cette décision française est d’une gravité exceptionnelle.
J’espère que les autorités françaises, après avoir mesuré la gravité de la décision, vont faire marche arrière pour donner la chance à cette belle coopération culturelle, qui pourrait aider à reconstruire tout ce que les politiques auront détruit.

Seydou Coulibaly, Directeur du Festival International Didadi de Bougouni
« J’invite nos autorités à ne pas se soumettre à un chantage »

C’est décision nous a fait mal. Mais, qu’à cela ne tienne, j’invite nos autorités à ne pas se soumettre à un chantage. Si la France demande à ses acteurs et institutions culturels de ne pas programmer des artistes en provenance du Mali, du Niger et du Burkina Faso, et pire de suspendre toute la coopération culturelle avec ces pays, cela pourra avoir des conséquences désastreuses pour certains acteurs culturels du Sahel. Mais, au nom de notre dignité, de notre souveraineté, qui n’ont pas de prix, nous allons avoir les ressources pour résister. Aujourd’hui, ce sont les artistes et acteurs culturels du Sahel qui sont victimes de cette politique à deux balles, mais n’oublions pas que nous avons des compatriotes qui ont tout perdu dans la crise depuis 2012, sans se plaindre. Ils ont même développé des stratégies pour tenter de refaire leur vie.
Mais, il faut se dire que nous sommes citoyens maliens. Et, nous devons mettre le Mali au dessus de tout. En pareilles circonstances, la réciprocité est conseillée, même si l’impact n’est pas le même. Et, le jour où la France aura un très bon président, où sera disposée à prendre en compte nos intérêts, nous allons collaborer sur de très bonnes bases.Mais, nous devons refuser de nous soumettre avec ce système de chantage que l’Etat français veut mettre en place.
On va souffrir. Mais, nous devons être solidaires et résilients en attendant que les politiques françaises comprennent que les peuples du Sahel, désormais, veulent un partenariat gagnant-gagnant.

Adama Traoré, Président de la Fédération des Artistes du Mali (FEDAMA)
« On ne peut pas se coucher éternellement sur la natte du voisin »

Une directive de l’administration française appelant à « suspendre sans délai, et sans aucune exception », tous les « projets de coopération qui sont menés (...) avec des institutions ou des ressortissants du Niger, du Mali et du Burkina-Faso » a été publiée le mercredi. « Tous les soutiens financiers doivent également être suspendus, y compris [par le biais] des structures françaises, comme des associations par exemple. De la même manière, aucune invitation de tout ressortissant de ces pays ne doit être lancée ».
Ce message a provoqué la colère des acteurs culturels : « Cette interdiction totale concernant trois pays traversés par des crises en effet très graves n’a évidemment aucun sens d’un point de vue artistique et constitue une erreur majeure d’un point de vue politique. C’est tout le contraire qu’il convient de faire », a cinglé le Syndeac (Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles) dans un communiqué. Son vice-président Bruno Lobé directeur du Manège, scène nationale de Reims va plus loin : « La philosophie de la France vis-à-vis d’artistes vivant dans des pays avec lesquels, elle est en conflit a toujours été de continuer à les inviter, sans jamais rompre le dialogue. Ces créateurs sont déjà empêchés de travailler par leurs propres gouvernants. Si nous en rajoutons une couche, ce sera pour leur viabilité mais aussi pour l’image de la France, une véritable catastrophe. ». Pour Hassan Kassi Kouyaté metteur en scène franco- burkinabé, directeur du Festival des Francophonies en Limousin : « En tant que citoyen, je m’interroge : que sont devenues les valeurs de la France, ce pays des droits de l’homme qui a signé la charte de l’Unesco ? En tant qu’artiste, je suis surpris : pourquoi sanctionner les créateurs qui sont souvent les premières victimes des conflits ? Et que dire de l’ingérence soudaine du politique dans les programmations culturelles ? ». Face à ce tollé, la ministre de la culture Rima Abdul Malak s’est exprimée le vendredi : « Ce n’est pas un boycott, ni représailles » et de préciser : sont concernés les « nouveaux projets de coopération qui démarreraient et nécessiteraient des visas, ou d’envoyer des Français là-bas ».

Quelles leçons à tirer pour le Mali ?

Il est plus qu’important pour notre pays de comprendre que la culture est un instrument de politique extérieure. Nous avons rêvé à la rentrée diplomatique dont le thème était : « Faire de la culture un outil d’influence au service de l’action extérieure du Mali » ; après ce remue méninge, le feu s’est éteint ! Dans son essai sur la géopolitique des émotions, Dominique de Moisi cite trois grandes émotions : humiliation-peur-espoir. Dans l’histoire récente de notre pays nous avons connu : l’humiliation, la peur la troisième émotion c’est l’espoir ! Aujourd’hui le gouvernement demande aux artistes de mobiliser pour le sursaut patriotique ! Il reconnait le rôle et la fonction des artistes, mais sur le terrain qu’est ce qui est fait pour les artistes ? Ils sont obligés d’aller emprunter des armes chez leurs adversaires pour se battre ! En 2010 quand nous avons écrit sur le programme du festival du théâtre des réalités en gras dans la rubrique des partenaires : Sans le soutien du ministère de la culture. La cheffe du Service de Coopération et de l’Action culturelle de l’Ambassade de France nous a dit que nous avons l’appui de la France. Nous avons rétorqué que le SCAC n’est pas le ministère de la culture du Mali ! On ne peut pas se coucher éternellement sur la natte du voisin. Depuis des décennies nous assistons à la fermeture des frontières de l’Europe aucune politique pour aider la création et la diffusion. L’article premier de la Convention de l’UNESCO de 2005 stipule que « chaque état souverain a le droit de mettre en place sa politique culturelle ». Alors soyons souverains !

Fousseyni DIAKITE, Entrepreneur Culturel
« Il faut des actions concrètes pour intégrer le secteur culturel dans les politiques de développement et de construction du nouveau Mali »

Nous avons appris avec consternation la nouvelle de l’arrêt de la coopération culturelle entre la France et le Sahel, une décision émanant du Ministères de l’Europe et des Affaires Étrangères de la France. Cependant, nous n’en sommes pas très surpris, car ils avaient déjà décidé de fermer leur service de visa dans notre pays, ce qui laissait présager d’autres mesures restrictives. Ce qui nous surprend, c’est que cette mesure soit spécifiquement dirigée contre le secteur de la culture, notamment à l’aube de plusieurs événements culturels auxquels les artistes maliens et ceux des deux autres pays concernés par cette décision étaient attendus. Notre deuxième source d’étonnement réside dans le silence de nos autorités.
Jusqu’à présent, nous n’avons pas entendu parler de mesures de réciprocité prompte dont on a l’habitude. Cela ne signifie pas nécessairement que nous soutenons cette approche, mais cela nous pousse à nous demander si le secteur de la culture fait réellement partie des priorités de nos dirigeants. Nous espérons sincèrement qu’ils ont choisi de transformer ces mesures de réciprocité en actions concrètes pour intégrer le secteur culturel dans les politiques de développement et de construction du nouveau Mali que nous aspirons à voir naître. Nous avons constaté certains efforts entrepris par nos plus hautes autorités, mais malheureusement, ils n’ont pas eu l’impact souhaité. La plupart de ces initiatives n’ont pas été élaborées en tenant compte de l’évolution actuelle du monde. Il est impératif que nous réfléchissions sérieusement à la bonne stratégie pour nos actions culturelles dans le cadre de l’émergence du nouveau Mali. Sinon, nous pourrions risquer de construire un pays sans bases solides.
Les effets de cette décision de la France sont catastrophiques pour le secteur culturel. En effet, nos autorités avaient déjà interdit tout financement en provenance de la France, et maintenant, la plupart des coopérations européennes (peut être dans un élan de solidarité européenne) traînent les pieds pour soutenir le secteur culturel dans notre pays. Or, le modèle économique de ce secteur repose en grande partie sur la coopération internationale. La décision de la France représente un coup dur, car les artistes de ces trois pays continuent d’utiliser la langue française dans leur travail créatif, ces pays changent de coopérant mais sans changer de langue de travail.
Il y a eu des réactions de condamnation de la part des syndicats et d’autres organisations culturelles en France, ce qui a incité leurs autorités à faire marche arrière dans leur décision. Cependant, cette rétractation n’a malheureusement pas apporté de solution véritable. Au Mali également, nous condamnons fermement de telles décisions. Les acteurs culturels maliens vont mettre en place des actions fédératrices et de plaidoyer dans les jours à venir. Car la culture est apolitique, elle contribue plutôt à promouvoir la paix entre les politiques grâce à un dynamisme de réciprocité.

Lévis TOGO Elvis, auteur metteur en scène entrepreneur culturel Malien
« La diplomatie culturelle condamnée ? »

L’art a la capacité de rassembler les gens sur un pied d’égalité et de manière fondamentale, de faciliter la réflexion autour de la convention, permettant ainsi une prise de conscience et un consentement mutuel dans les échanges culturels sur des sujets extrêmement vastes. Ceci favorise la préservation de la liberté artistique et de la liberté de création. La diplomatie culturelle peut alors jouer un rôle de médiateur, en utilisant les ressources mises en place par les États ou les particuliers.
Les artistes et les organismes artistiques ne devraient en aucun cas être instrumentalisés par les États à des fins politiques. La liberté artistique doit rester en dehors des compétences gouvernementales.
De nombreuses entreprises de développement culturel, dont la clientèle ne se limite pas aux artistes, travaillent au rayonnement culturel dans le contexte des relations internationales, ayant également un impact économique. Ces entreprises mènent des activités commerciales dans divers marchés.
Pour un artiste, s’impliquer sur le terrain diplomatique signifie être mobile, sortir de son cadre habituel pour découvrir d’autres pratiques, apprendre de ses rencontres, élargir ses horizons professionnels, élargir son public grâce à une diffusion internationale et trouver des opportunités de rémunération au-delà des frontières.
La diplomatie culturelle est une entreprise sérieuse et importante qui nécessite des compétences et des outils spécifiques. Les artistes ne sont pas simplement des acteurs de divertissement, mais aussi des contributeurs essentiels à la promotion de la culture.
Malheureusement, les États utilisent souvent la diplomatie culturelle comme un outil de soft power pour renforcer leur politique et leur prestige.

Comment aborder les questions sensibles ?

• Les diplomates devraient-ils solliciter l’expertise des artistes et des praticiens ?
• Devrait-on leur offrir une formation artistique ?
• L’art devrait-il être utilisé pour mieux comprendre les enjeux ?
• Est-ce que la fermeture des frontières renforce réellement l’économie et crée des opportunités ?
• Le rôle de l’artiste est-il de se soumettre ou de s’affranchir des frontières ?
• L’artiste ne pourrait-il pas être un ambassadeur ?

Il est triste et inacceptable d’instrumentaliser les artistes et de restreindre leurs libertés d’échange, de création et de rencontre, les privant ainsi d’opportunités d’élargir leur vision. Les enjeux sont considérables, et il est impératif de sensibiliser davantage ceux qui ont le privilège de respirer l’air frais avant que la bouteille ne se vide complètement.

Rassemblés par Assane Koné


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